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entre le principe cosmique d’énergie, sous le nom d’Inconscient, et la force obscure, équivoque que le matérialisme invoque si souvent sous le nom de Nature. On se refuse à admettre la possibilité d’une pensée et d’un vouloir absolument inconscients. Et surtout on est unanime à nier que l’Inconscient-Absolu, ou le Dieu de Hartmann contienne en lui la raison suffisante du monde, puisque sa propre nature, l’opposition, éternellement réelle ou possible en son sein, de la raison et du vouloir échappe elle-même à toute raison suffisante. La seule finalité que reconnaisse la raison est celle du bien, comme toute grande philosophie depuis Platon le professe invariablement. Comment parler de finalité véritable dans une doctrine qui fait du mal, sous le nom de vouloir, un principe co-éternel au bien, à la raison ? En un mot, la doctrine métaphysique de Hartmann sur l’inconscience et l’imperfection radicale de l’absolu réunit et maintient contre lui les adversaires des camps les plus divers : et la vivacité, la multiplicité de ses efforts offensifs on défensifs ne paraît encore près de rompre le faisceau de ces oppositions décidées. Malgré le concours de disciples passionnés comme Moritz Venetianer, ou de disciples indépendants comme Veælkelt, le système n’a pas de moins rudes assauts à soutenir de la part des fidèles de Schopenhauer que des continuateurs de Hegel.

Le monisme de Hartmann n’est donc pas plus heureux auprès des philosophes qu’il ne l’est auprès des savants, et l’on comprend que d’autres tentatives n’aient pas tardé à se produire en vue de formuler le système définitif, qui doit assurer l’accord de la science et de la spéculation.

En vain Hartmann présente son système comme un traité de paix entre les écoles rivales, comme la première tentative qui ait été faite pour assurer une vie durable et fondre ensemble les vérités contenues dans les doctrines les plus opposées, pour concilier enfin Hegel et Schopenhauer dans une synthèse supérieure pressentie par le génie de Schelling. Les représentants ou les continuateurs des maîtres du passé se refusent à signer un traité de paix qu’il faudrait payer par le sacrifice de leur indépendance, par l’abdication de leurs titres les plus glorieux.

IV

Noiré.

La guerre passionnée que Dühring engage contre l’accord poursuivi par le monisme entre l’école évolutioniste et l’ancienne métaphysique ne fait qu’enflammer davantage l’ardeur de Noiré pour la cause menacée. Il la dégage d’abord de toute alliance compromet-