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NOLEN. — le monisme en allemagne

la conscience. La finalité des actes instinctifs ne peut donc être qu’une finalité inconsciente. :

Cette finalité que M. de Hartmann signale au fond des actes instinctifs, il la démêle sans peine dans tous les processus biologiques. Qu’on ne lui objecte pas qu’une telle théorie est la négation même du déterminisme mécanique et par suite de la science. Il répond que la science n’atteint et n’explique que le mouvement, c’est-à-dire les relations extérieures des êtres, et non le principe de ces relations, non l’essence de l’être, à savoir la volonté et la pensée, ou, comme dirait Leibniz, l’appétit et la perception : et l’instinct n’est, comme la vie, qu’une des formes de cette activité au fond essentiellement spirituelle.

En même temps que l’instinct de la finalité inconsciente préside aux manifestations de la vie et de l’instinct au sein des individus, il ne domine pas moins l’évolution des espèces, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Mais les partisans de l’ancienne téléologie sont moins satisfaits de ce qu’il enlève au mécanisme évolutioniste que mécontents de ce qu’il lui accorde. Il leur paraît que c’est trop réduire le rôle de la puissance créatrice que de lui permettre d’intervenir seulement dans les conditions déterminées et les limites circonscrites par le jeu des lois de l’évolution, que de l’obliger d’attendre pour exercer son minimum d’action qu’un champ favorable lui ait été préparé par le mécanisme de la sélection naturelle. Hartmann soutient, au contraire, que la sagesse et la toute-puissance du Créateur ressortent davantage par cette subordination apparente de la finalité au mécanisme, puisque la nature obtient aussi la plus grande richesse d’effets, avec la plus grande simplicité de moyens.

Mais plus que cette transformation des anciennes conceptions téléologiques sur la vie, l’instinct et l’espèce, la doctrine de Hartmann sur la subordination de la pensée au cerveau a eu le don d’irriter et d’alarmer les philosophes, et d’attirer à son auteur l’épithète redoutable de matérialiste. Comment soutenir pourtant que la pensée consciente soit indépendante de l’organisme cérébral, sans faire violence aux faits, sans contredire les témoignages les plus indiscutables de la physiologie nerveuse, et sans se prostituer, suivant la folle expression de Liebniz ? Mais cette vérité, dont il faut bien faire honneur aux investigations persistantes du matérialisme, ne met que la pensée consciente et réfléchie dans la dépendance de l’organisme, non la pensée inconsciente, et par là une barrière inattendue se dresse devant les prétentions du matérialisme.

On déclare que la solidité de cette barrière est plus apparente que réelle. On prétend ne pas découvrir une différence suffisante