Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
revue philosophique

lité, n’en est que l’instrument docile. Dans le monde des phénomènes ou des faits, le mouvement et la pensée, soit qu’on en fasse avec Leibniz et Spinoza, comme avec le monisme contemporain, les deux manifestations corrélatives de l’être, soit qu’on les regarde comme des moments successifs de son évolution, obéissent également aux lois de la logique éternelle et par conséquent ne sauraient se heurter. La nécessité de l’idée absolue diffère profondément d’ailleurs de celle du mécanisme des physiciens. Au sein de l’esprit éternel, le déterminisme et la liberté se confondent : car, comme dit Leibniz, « être le plus déterminé au bien, c’est aussi être le plus libre. »

M. de Hartmann croit que l’accord du mécanisme et de la finalité n’est possible que dans une doctrine inspirée des principes de la métaphysique hégélienne. Mais il prétend que sa philosophie réalise mieux cet accord que la philosophie de la nature de l’idéalisme absolu.

Il était bon de corriger, à la lumière de la science d’aujourd’hui, les théories traditionnelles surannées du spiritualisme sur l’instinct, sur l’origine des espèces, et de montrer que si l’ancienne téléologie a fait son temps, les triomphes récents du mécanisme n’ont rien enlevé à l’autorité, à la nécessité d’une téléologie plus discrète et mieux informée.

L’instinct, avec la merveilleuse adaptation de ses actes aux besoins non seulement de l’espèce, mais des individus, continue de défier les prétentions de ceux qui voudraient ne voir avec Descartes que des machines physiques, avec les darwiniens que des machines à la fois psychiques et physiques dans les animaux et même dans les plantes. L’activité instinctive ne saurait plus être considérée comme un automatisme uniforme, invariable. Elle est toute pénétrée d’intelligence, comme l’indique l’effort permanent de chaque être pour s’adapter à la diversité des milieux, à la mobilité des circonstances.

Tout dans l’individu ne s’explique point par les lois générales de la vie et de l’espèce ; et, à moins de faire descendre Dieu ou de faire intervenir, sous le nom plus vague encore de nature, une puissance étrangère et mystérieuse dans les processus multiples où paraît s’accuser l’initiative individuelle, il n’est pas possible de contester que les actes du plus infime des vivants protestent contre toute réduction de la vie au pur mécanisme. Chaque être n’est pas seulement, comme le veut Darwin, le produit de l’évolution accomplie par son espèce : il justifie aussi dans une certaine mesure la définition de Schopenhauer : « Chaque être se présente, en fait, devant nous, comme son œuvre propre. » Mais il est incontestable que la spontanéité, dont il s’agit, est étrangère à la réflexion et participe à peine à