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NOLEN. — le monisme en allemagne

consciente, bien que souverainement sage et toute-puissante ; la conscience suppose la distinction d’un moi et d’un non-moi, qui ne saurait se rencontrer au sein de l’unité absolue. C’est à cette action éternelle de l’Inconscient qu’est suspendue l’activité éphémère des créatures ; c’est à la clarté inaltérable de cette intelligence qui ne se connaît pas sous la forme du moi que s’allume la flamme vacillante des consciences individuelles.

Le passage de l’être absolu à la conscience n’est pas, comme dans la doctrine de Hegel, la fin suprême de l’évolution universelle, Bien loin de constituer une perfection, la conscience exprime et mesure à ses degrés successifs la scission de l’être infini d’avec lui-même et les souffrances qui accompagnent cette scission ; mais en même temps elle prépare la fin de cet état anormal, en éclairant l’individu sur les suites funestes de la discorde que la création a fait éclater entre la raison et le vouloir. Elle prépare ainsi les individus à devenir les libérateurs de l’être éternel. Le monde est donc l’œuvre d’une raison parfaite et d’une volonté aveugle : tout ce qu’il renferme de bon vient de la première ; il doit à la seconde tous les maux qui l’affligent. Il justifie ainsi l’optimisme de Leibniz et le pessimisme de Schopenhauer ; il est le meilleur des mondes possibles, tout en ne valant rien, puisque le néant lui est infiniment préférable.

Ces étranges conceptions sur l’origine, la fin et l’essence des êtres sont assez connues pour que nous n’ayons pas à nous y arrêter plus longtemps. Ce qu’il importe de faire remarque ici, c’est qu’Hartmann prétend bien trouver dans l’expérience la justification de sa métaphysique. Comme les théories sur la nature et sur l’homme, la métaphysique de Hartmann invoque l’expérience à l’appui de ses doctrines. Sans doute elle prétend bien dépasser les choses sensibles et atteindre le principe même de la réalité ; mais les faits ne s’adaptent si bien à ses explications que parce qu’elle a commencé par s’adapter elle-même aux faits.

L’Inconscient, elle l’a cherché et rencontré dans le monde, avant de le concevoir comme un principe indépendant du monde. L’Un-Tout de Hartmann, ainsi que la substance de Spinoza, c’est la nature, telle qu’elle se manifeste, à nous comme natura naturans, c’est-à-dire comme le fonds immuable d’où sort et où rentre toute diversité, et que nous retrouvons, sous les formes mobiles des existences phénoménales, constante dans son énergie, imperturbable dans ses lois, L’inépuisable activité, la sagesse infaillible qu’elle déploie dans ses productions deviennent sous un autre nom, le vouloir et l’idée de l’absolu. Et, si la conscience est étrangère à l’Un-Tout, c’est qu’elle l’est à la nature envisagée dans son ensemble et dans son fond. Le