Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
revue philosophique

l’Inconscient ou de la puissance créatrice. Ce qu’on appelle le mécanisme de l’évolution n’est qu’un moyen de simplifier la nature et de réduire le nombre de ces interventions, et d’atteindre, comme il convient à la sagesse suprême, la plus grande richesse d’effets avec la plus grande économie de force.

Dans tout ce qui précède, Hartmann nous apparaît aussi préoccupé que Hæckel de faire servir à sa philosophie les enseignements multiples de la science contemporaine ; mais il ne se fait pas illusion, comme son devancier, sur l’insuffisance des inductions tirées de l’expérience, et insiste sur la nécessité de joindre les principes téléologiques aux principes scientifiques dans l’explication des choses.

Il se trouve par là même obligé de montrer que cette diversité des principes de la connaissance ne compromet en rien le sens et la vérité du monisme, et de chercher dans une doctrine métaphysique compréhensive la conciliation des prétentions et des méthodes différentes du mécanisme et de la finalité. Ici, Hartmann se montre aussi intelligent de toutes les grandes philosophies du passé que nous l’avons vu tout à l’heure familier avec les inventions multiples de la science moderne. Et là s’accuse incomparable supériorité de son entreprise philosophique sur celle de Hæckel.

La métaphysique est destinée, chez lui comme chez Leibniz, à faire cesser le désaccord des causes efficientes et des causes finales, qui persiste à travers la cosmologie et l’anthropologie de Hæckel, et contredit les fières déclarations de son monisme.

Hartmann professe résolument avec Leibniz l’analogie universelle et avec Spinoza l’unité de la substance. En cela, il ne fait que continuer l’enseignement des penseurs de sa race, des maîtres de la philosophie de l’identité. Mais il entend démontrer comme une nécessité logique de la pensée ce que Hæckel se contente d’affirmer comme une hypothèse favorable à la science ou comme une sorte d’intuition poétique. Le Dieu transcendant du théisme est relégué parmi les conceptions chimériques et contradictoires, dont la dialectique de Kant a définitivement fait justice. L’évolution de la nature est celle même de l’absolu ; et tous les mystères de la vie et du monde ne s’éclairent que pour l’œil qui sait pénétrer les secrets de l’essence absolue. L’absolu n’est plus comme chez Hegel raison pure ou chez Schopenhauer volonté pure : il est à la fois logique et volonté, et voilà pourquoi partout l’idée et la volonté se rencontrent associées dans l’univers ; voilà pourquoi l’action et l’intelligence ne font défaut à aucun être, pourquoi l’inertie et l’étendue ne sont, comme la matière, que des apparences, que des phénomènes. Mais l’activité de l’absolu est une activité inconsciente ou, si l’on aime mieux, supra-