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NOLEN. — le monisme en allemagne

la conscience est susceptible ; comme dirait encore Leibniz, c’est la forme la plus haute sous laquelle la puissance perceptive qui est commune à tous les êtres se manifeste à nous dans la série des vivants. De même que l’être s’élève graduellement de la sensibilité confuse des êtres infimes à l’intelligence des animaux supérieurs, de même, entre l’animal et l’homme civilisé, la transition est établie par la barbarie des races. La raison de l’homme d’aujourd’hui est l’héritage des siècles et le produit d’une longue évolution. Hartmann accepte toutes les conséquences de la théorie de la descendance. Nos instincts et nos idées innées ne sont en grande partie que des habitudes séculaires d’agir et de penser et résultent des expériences accumulées dans la suite des générations. Mais ni l’association ni l’hérédité opérant sur les données de l’expérience n’expliquent le tout de l’esprit humain.

Et la théorie de l’évolution ne rend pas compte des principes primordiaux, qui constituent l’essence propre de la raison théorique et pratique, et qui marquent dans l’homme la spontanéité initiale de sa nature et font de sa pensée une manifestation supérieure et originale de la puissance créatrice.

La science, en un mot, n’épuise pas, avec les formules du mécanisme évolutioniste, l’explication de l’esprit ; le cœur et l’intelligence de l’homme tirent directement de l’Inconscient éternellement et partout agissant l’amour du bien et l’intuition de l’absolu, les principes transcendants, qui sont la racine même de la vie rationnelle. Et ce n’est pas assez dire : l’intervention de l’inconscient est nécessaire pour expliquer non seulement les attributs spécifiques de la conscience humaine, mais encore les dons supérieurs qui caractérisent les hommes providentiels et les individus de génie. Ainsi Hartmann, qui vient de faire si large la part du mécanisme, ne se montre pas moins préoccupé d’en marquer fortement les limites et n’hésite pas à professer que l’esprit souffle où il veut.

Le même sentiment très vif de la portée et aussi des bornes du mécanisme évolutioniste inspire le jugement général qu’il porte sur la théorie transformiste. Il admet volontiers la filiation des espèces et ne croit pas qu’on puisse faire trop grande la part de la sélection et de l’hérédité. Mais, outre qu’il montre très bien que les lois de la théorie évolutioniste ne sont pas des principes rigoureusement mécaniques et qu’elles ne s’appliquent pas aux modifications morphologiques, il soutient énergiquement que la sélection et l’hérédité ne suffisent pas à rendre compte de la variation et de la permanence des espèces. Il faut admettre à l’origine, et pendant la période de formation de chaque espèce nouvelle, l’intervention constante de