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données toujours provisoires et défectueuses de notre expérience à la fois progressive et limitée ne sauraient, en tout cas, prévaloir contre les inductions auxquelles l’analogie nous conduit. Nous n’éprouverons aucune peine à reconnaître avec M. Pasteur que, dans l’état actuel de notre terre, le vivant ne provient que d’un vivant antérieur : omne vivum ex ovo ; mais rien ne démontre que des conditions plus favorables n’ont pas autrefois fait sortir la vie de la pure matière ; ou plutôt, nous ne devons pas hésiter à croire qu’il en a dû être ainsi et que la matière, aux âges primitifs, comme Kant l’a pressenti lui-même dans une de ses plus grandioses hypothèses, était comme la matrice universelle où s’élaboraient spontanément les formes de la vie.

Le problème de la conscience ne se résout pas moins aisément, du point de vue du monisme. La vie est partout, et la conscience se rencontre partout où se déploie la vie ; mais nous ne donnons le nom de conscience qu’à cette forme supérieure que le sentiment de l’individualité atteint chez l’homme et dont la mémoire et la réflexion semblent les conditions essentielles ; expliquer l’origine de la conscience ainsi entendue, c’est déterminer les causes qui favorisent ou contrarient le souvenir, le retour de la pensée sur elle-même, et la vivacité des impressions sensibles. La physiologie nerveuse, l’étude des lois qui régissent les phénomènes, l’activité cérébrale et ceux de la vie de relation peut seule nous livrer les secrets de la formation de la conscience psychique, et l’on sait tout ce que la psycho-physique de notre temps a rencontré de découvertes précieuses dans cette voie trop longtemps inexplorée. Sans doute, lors même que l’œuvre de la science serait terminée et l’explication psycho-physique poussée à ses dernières limites, il resterait toujours à nous demander d’où vient non plus le phénomène spécial de la conscience humaine, mais le fait universel et primitif de la conscience. D’où vient que la conscience est inséparable de l’être, et comment l’être, qui est au fond identique et un, se différencie-t-il, s’individualise-t-il sous la forme de la conscience ? Mais c’est là une question transcendante, qu’il convient de réserver à la métaphysique. Il ne faut pas indiscrètement mêler, pas plus dans le monisme qu’ailleurs, les problèmes que relèvent de la science et ceux qui sont du domaine de la pure spéculation.

On peut affirmer, dans le même sens, que l’expérience n’a pas de moindres lumières à nous fournir sur la formation de l’esprit que sur celle de la conscience. L’esprit, c’est-à-dire la pensée élevée à la dignité de la raison, l’individu parvenu à la pleine conscience de sa liberté, n’est que le terme le plus élevé du développement dont