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NOLEN. — le monisme en allemagne

même des fonctions de la moindre cellule, on n’induise la présence d’un principe directeur, doué d’intelligence et de sensibilité au sein de chacune d’elles. Un cartésien pourra seul protester contre la légitimité de pareilles inductions et séparer violemment l’homme du reste de la nature, en n’accordant qu’à lui seul la pensée et même le sentiment. Mais le bon sens et la logique ont depuis longtemps fait justice de ce mécanisme aussi inconséquent qu’intempérant de Descartes. On a démontré sans peine qu’appliqués à la rigueur les principes du mécanisme conduiraient à traiter tous les êtres comme de pures machines, aussi bien nos semblables que les animaux : car la vie psychique des autres hommes, après tout, ne se manifeste directement à aucun de nos sens, pas plus que celle du plus obscur des infusoires, et l’analogie seule peut combler l’abime qui sépare entre elles les consciences des divers êtres. Un cartésien conséquent qui refuse de partager la foi instinctive que le genre humain accorde sur ce point aux inductions de l’analogie doit s’interdire aussi rigoureusement de parler de la pensée de son voisin que de celle des autres êtres. Il suffit d’indiquer cette conséquence du système pour en faire justice. L’analogie, une fois rétablie dans ses droits, il n’est plus permis d’en limiter arbitrairement l’usage, comme l’avait si bien entendu Leibniz, et nous nous trouvons obligés de répandre libéralement la vie et la conscience, sous des formes infiniment variées sans doute, partout où nos sens nous découvrent des causes de mouvement, des principes d’action, des substances en un mot.

L’expérience aidée de l’induction et de l’analogie, la science, au sens large du mot et non plus seulement la science réduite arbitrairement par les cartésiens au pur mécanisme, suffit donc à confirmer les antiques intuitions des poètes et des métaphysiciens sur la vie universelle de la matière. Le problème de l’origine de la vie et de la conscience se présente désormais à nous sous un aspect nouveau. La vie et le sentiment sont les attributs de toute substance et demeurent partout associés au mouvement, qui n’en est que la manifestation extérieure. Mais nous donnons le nom de vivants et de conscients aux êtres en qui l’organisation et le sentiment sont plus accusés. Tout se ramène à des différences du degré, comme dans le monde des monades de Leibniz. On comprend que, de ce point de vue, Hartmann suive avec une vive sympathie toutes les tentatives de la chimie organique, pour éclairer le passage de ce que nous appelons la pure matière à la substance organisée, et de celle-ci à l’individu organique. Que le savant réussisse ou non à faire sortir de ses alambics non pas l’homonculus, que rêvait l’impatiente curiosité du docteur Faust, mais simplement le germe, la cellule d’un organisme inférieur : les