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du darwinisme et L’Inconscient du point de vue de la physiologie et de la théorie de la descendance.

On sait la singulière fortune de ce dernier ouvrage. Paru d’abord sous le voile de l’anonyme ; rendu célèbre par une solennelle déclaration de Hæckel, qui se ralliait à la métaphysique la philosophie de l’Inconscient sous cette forme nouvelle ; successivement attribué à Zöllner et à Hæckel lui-même ; opposé malicieusement au livre de M. Hartmann, comme l’œuvre d’un disciple supérieur au maître par la conséquence de la doctrine et la sûreté des connaissances ; et publié tout à coup en 1877, lors de la deuxième édition, sous le nom de M. Hartmann lui-même, le véritable auteur : ce curieux ouvrage démontre victorieusement, par les malentendus même auxquels il a donné naissance, que les principes, les méthodes, les découvertes et le langage même de la science n’avaient pas de secrets pour M. Hartmann, et que ce n’était ni faute de les connaître, ni faute de les entendre, qu’il lui arrivait de s’en écarter ou même de les contredire dans ses autres ouvrages. Comme Platon dans le Parménide, M. Hartmann avait pris et joué momentanément le personnage de l’adversaire. Jamais la cause du mécanisme scientifique n’avait été soutenue avec plus de force et de conséquence ; mais jamais aussi l’insuffisance et la pauvreté de la doctrine ne s’étaient plus clairement manifestées. L’ironie de cette apologie insidieuse échappait naturellement aux regards prévenus des matérialistes : mais la leçon n’en fut que plus décisive lorsque l’auteur vint se charger lui-même de dissiper l’illusion et de compléter la démonstration.

Les savants en tout cas, ne pouvaient contester que la nouvelle philosophie de la nature, exposée par M. Hartmann, fût sortie d’un commerce assidu et intelligent avec toutes les sciences du temps. Et, quelles que soient les erreurs de détail qu’on y peut relever, le philosophe a bien voulu sincèrement s’instruire à l’école de la science, et a pris au sérieux l’épigraphe de son livre.

L’activité inconsciente, dont M. Hartmann analyse curieusement les effets dans la vie corporelle et dans la vie de l’esprit, chez l’animal et chez l’homme, qu’il suit comme dans une marche ascendante, depuis les fonctions physiologiques, les actes réflexes ou instinctifs et les mouvements volontaires, jusque dans les facultés supérieures de la vie intellectuelle, et ces puissances obscures et souveraines, qui font et défont la trame de la pensée comme celle de l’existence, sont-elles autre chose que les forces naturelles ou sociales dont les sciences biologiques et historiques de notre temps s’appliquent à surprendre les secrets et à fixer les lois ? M. Hartmann n’avait donc qu’à prêter l’oreille aux