Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
B. PEREZ. — facultés de l’enfant

couleurs agréables. Elle jase aussi aux oiseaux, qu’elle connaît bien. Non seulement elle se tourne du côté de la cage, quand le serin chante. Mais si. l’oiseau ne chantant pas, sa mère lui dit : « Où est le coco ? Écoute coco, » elle tourne aussitôt ses yeux vers la cage.

Elle comprend, à l’air du visage, au ton de voix, qu’on la réprimande : alors son front se plisse, ses lèvres se crispent convulsivement, font un instant la moue, ses yeux s’humectent de larmes, elle est près de sangloter. Elle est très sensible aux caresses, elle rit et joue avec quiconque rit ou joue avec elle. Mais elle est d’une jalousie extrême. Quand on place un enfant à côté d’elle sur le sein de sa mère, ou que celle-ci embrasse sa sœur ainée, Marie reste un moment les yeux fixes, sa bouche se contracte, ses yeux se mouillent, elle sanglote, et tournant brusquement sa tête de côté, pour ne pas voir sa rivale, elle garde pendant quelques secondes cette attitude malheureuse.

Elle agit de même lorsque sa mère donne à sa sœur ou que celle-ci prend sur la table le biberon, avec lequel sa mère l’allaite en partie. Mais, quand sa mère lui prend le biberon ou fait mine de le porter à sa propre bouche, la petite jalouse ne s’en intrigue point, comme si son égoïsme n’existait point pour sa mère.

Voici un autre enfant, d’un autre sexe, d’un autre tempérament et d’un autre caractère. Georget a sept mois. À peine arrivé dans ma chambre, son attention est vivement excitée par les mouvements bruyants d’un moineau qui sautille dans sa cage tout auprès de la fenêtre. Ensuite, il regarde pendant trois minutes, immobile, avec un intérêt sérieux, un chat accroupi aux pieds d’un fauteuil : il a vu souvent des chats. Mais le moineau a poussé de petits cris, et Georget cherche de tous côtés, ne sachant pas d’où provient le bruit agréable qu’il entend. Je l’appelle par son nom de Georget, et, quoiqu’il n’ait jamais entendu ma voix, il me sourit très agréablement. Il ne tarde pas à tendre ses bras vers un bouquet de fleurs, que j’ai placé non loin de lui ; le plaisir qu’il éprouve à le regarder est visible, mais ne se manifeste pas par ces bonds, ces cris et ces élans de joie, que j’ai déjà remarqués chez Marie et chez plusieurs enfants de son âge, dans des circonstances semblables.

Georget est un gros et grand garçon issu d’Alsaciens, joufflu, grave, lent et entêté, tandis que la petite Marie est une mince, pâle, vive et frétillante poupée parisienne. — Dix jours après sa première visite, Georget a fait une seconde pose devant moi. Cette fois, il fait des soubresauts joyeux, à l’adresse de mon chat qui rôde autour de nous. Il se jette aussi en avant, pour saisir une assiette qui se trouve au milieu de la table ; je lui permets de s’étendre sur la table et de