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II

« L’esprit de l’homme, a dit Bacon, travaille sur une matière, » Les sensations, voilà la matière première de l’esprit, la cause déterminante de nos idées. Mais ce que l’on ne pourrait affirmer sur le témoignage des faits, c’est que les opérations intellectuelles sont engendrées, comme les idées, par les sensations. Si l’on considère les sensations comme un certain état des centres sensitifs, les idées comme des modifications particulières du centre intellectuel, et les différentes opérations comme des dispositions spéciales des organes spirituels, les unes et les autres aptes à se reproduire et à s’exciter mutuellement, par suite de l’habitude et de l’exercice, il reste à prouver, le scalpel et le microscope aidant, que la transformation de l’idée en attention, par exemple, produit une disposition moléculaire nouvelle et persistante dans les fibres et les cellules du cerveau. On n’a encore observé rien de pareil. « Mais ce qui ne laisse, dès à présent, aucun doute dans l’esprit de l’anatomiste et du physiologiste, c’est que le jeu de nos facultés est intimement lié à la perfection de l’instrument. Non seulement la moindre altération pathologique retentit sur l’intégrité des fonctions cérébrales, mais nous voyons celles-ci s’accroitre à mesure que l’âge multiplie les fibres et les cellules cérébrales ou en complique les rapports. Sans doute, la science n’est point en mesure, dans ce nouveau dédale, de spécifier les fonctions de chaque fibre : elles se comptent par milliers ; la plupart mesurent moins d’un millième de millimètre, il en est même qui sont à peine perceptibles pour nos meilleurs microscopes. C’est l’état de cet instrument chez l’enfant nouveau-né qu’il nous faudrait connaître[1]. »

La psychologie et la physiologie comparées, je l’ai déjà dit, ne peuvent guère nous renseigner sur l’état des centres perceptifs dans les premiers temps de la vie. Cependant les observateurs du cerveau prévoient le moment où l’expérience pourra ouvrir ce vaste champ à la pensée humaine. « Il serait très intéressant, dit Ferrier, de s’assurer si, chez un individu né aveugle, le centre visuel présente en ce qui concerne soit la forme des cellules, soit leurs Opérations ou autre chose, des particularités différant de celles du cerveau normal. Si elles pouvaient être reconnues, nous ne serions pas loin de la connaissance des caractères propres à la base physique d’une

  1. G. Pouchet, analyse du livre de M. Ribot sur l’Hérédité dans Le Siècle, juin 1878.