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autant du bon passage relatif aux modes anciens et aux accroissements que notre musique pourrait recevoir d’une plus grande variété de modes. « Il est à supposer, dit fort bien l’auteur, que si nous avions encore des gammes différentes en dehors de nos gammes majeure et mineure, l’art s’enrichirait d’une foule d’effets nouveaux ou perdus. » — On sait comment cette supposition de M. Ch. Beauquier est devenue presque une vérité démontrée, grâce aux travaux de M. Bourgault-Ducoudray que nous avons analysés et appréciés dans le Journal des savants[1].

Au même ordre d’idées se rattache la question attrayante et difficile des impressions si différentes produites par le mode majeur et parle mode mineur. L’auteur ne l’a point omise, et on comprend qu’il n’y touche qu’avec précaution. Il caractérise exactement les effets contraires des deux modes sur notre sensibilité, sans se flatter d’en avoir saisi le secret. Et, des différences essentielles du mineur et du majeur, il refuse justement de conclure que chaque ton doive servir de signe à des sentiments déterminés. Mais, plus tard, peut-être sera-t-il entraîné à raisonner sur les deux modes comme il raisonne en psychologue sur les tons graves et aigus quand il écrit : « Nous avons déjà remarqué que les notes graves produisent une impression tout autre que les notes élevées, impression moins nette, un peu effrayante même, parce qu’elles sont comme la manifestation d’un mouvement plus lent de la matière, qu’elles nous font voir douée d’une vie latente, tout à fait différente de la vie telle que nous avons l’habitude de l’apercevoir. » — « Il suit de là naturellement que tous les tons graves, comprenant un ensemble de notes plus graves que les autres, sont tristes et plus sombres que les tons aigus qui correspondent aux couleurs vives et gaies, à cause de l’activité qu’ils impriment par leurs vibrations à la sensibilité. » Dans ces lignes très philosophiques, les tons aigus et graves sont envisagés : 1o par rapport à ce qu’ils semblent manifester en dehors de nous ; 2o par rapport à l’émotion qu’ils excitent au dedans de nous. Et de ces deux aspects nous croyons qu’il jaillit de la lumière. Qui sait si les tons majeur et mineur n’ont pas, eux aussi, ces deux aspects, et si, en les découvrant avec méthode, on n’en ferait pas venir quelque nouvelle clarté ? Qu’y aurait-t-il d’impossible à ce que leur constitution diatonique distincte les rendît propres à exprimer (je ne dis pas à imiter) des mouvements différents des êtres extérieurs à nous, comme le font, selon notre auteur, l’aigu et le grave ; et qu’y aurait-il d’absurde à ce que ces expressions fussent précisément les causes

  1. Cahiers de janvier, février, avril et juin 1879.