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P. JANET. — le spinozisme en france

ces doctrines : George Sand, Edgar Quinet, Lamartine même, dans quelques passages de Jocelyn, Michelet plus tard, tous sont plus ou moins imprégnés de panthéisme, mais plutôt sous l’influence de l’esprit du temps que par une action directe et une connaissance précise des écrits de Spinoza. Enfin, à partir de 1850, on peut dire que le point de vue de l’unité de substance tend à prédominer en philosophie. Nous citerons surtout parmi ceux qui ont le plus contribué à répandre ces vues M. Vacherot, M. Taine et M. Renan. Le premier surtout, dont l’autorité comme métaphysicien est incontestable, a soutenu cette doctrine avec une grande force de pensée et de style soit dans son Histoire de l’école d’Alexandrie (3e volume), qui lui valut une destitution, soit dans son livre sur la métaphysique et la science (VIe et XIIe entretiens).

M. Vacherot cependant n’admet pas sans réserve les principes de Spinoza. Il lui reproche, comme Schelling, non pas son panthéisme, mais son fatalisme. Il croit que l’on peut échapper aux conséquences dures et accablantes de la philosophie de Spinoza, en introduisant dans cette philosophie la force et la vie.

C’est le même point de vue que nous rencontrons dans la brillante et noble conférence prononcée à La Haye le 21 février 1877, pour l’anniversaire de la mort de Spinoza, par M. Ernest Renan. Ce que M. Renan reproche à Spinoza, ce n’est pas d’avoir divinisé la nature, c’est au contraire de l’avoir trop dédaignée, trop humiliée. « Etranger à l’idée de la vie, dit-il, Spinoza n’arriva pas à cet infini vivant et fécond que la science de la nature et de l’histoire nous montre dans l’espace sans bornes à un développement toujours de plus en plus intense… Il ne vit pas clairement le progrès universel ; le monde, comme il le connaît, semble cristallisé… le sentiment de Dieu lui enlève le sentiment de l’homme ; sans cesse en face de l’infini, il n’aperçut pas suffisamment ce qui se cache de divin dans les manifestations relatives ; mais il vit mieux que personne l’éternelle identité qui sert de base à toutes les évolutions passagères… D’un vol hardi, il atteignit les hauts sommets couverts de neige. À cette hauteur où toute autre poitrine que la science devient haletante, il vit, il jouit ; il s’y épanouit, comme fait le commun des hommes dans les molles régions tempérées. Ce qu’il lui faut à lui, c’est l’air du glacier avec son âpreté forte et pénétrante. Il ne demande pas qu’on l’y suive ; il est comme Moïse, à qui se révèlent sur la montagne des secrets inconnus au vulgaire ; mais, croyez-le, il a été le voyant de son âge ; il a été, à son heure, celui qui a vu le plus profond en Dieu. »

Malgré ces belles et généreuses paroles, il nous semble toutefois