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et de lui substituer les rêves de l’imagination. » Cela n’est vrai que du panthéisme mystique, tel que l’ont connu les Indiens. Sans doute le bouddhisme européen est une fantaisie littéraire et mondaine, beaucoup plus que philosophique ; mais un panthéisme naturaliste, qui absorbe l’homme dans la nature et fait de la nature l’être divin, n’a rien d’inconciliable avec la civilisation de notre temps.

Aussi vit-on, à partir de la Restauration, le point de vue panthéistique prendre, même en France, un assez grand développement. Seulement on ne peut y reconnaître l’influence de Spinoza que d’une manière assez indirecte et à travers l’influence plus immédiate de l’Allemagne contemporaine. Victor Cousin lui-même, dont la vive imagination a traversé bien des phases diverses en philosophie, s’était imprégné de philosophie hégélienne, et son cours de 1828 avait été, non sans quelque raison, accusé de panthéisme ; c’est probablement même à cette influence qu’est due sa sympathie pour Spinoza. Cependant, comme nous l’avons dit, il échappa bientôt à cette tentation ; et son école, grâce surtout à l’action de Maine de Biran, fut nettement anti-spinoziste.

C’est dans une école, assez peu philosophique, plus occupée d’économie sociale que de métaphysique, que nous voyons professer d’une manière explicite et tout à fait caractérisée le dogme de l’unité de substance et d’un Dieu à la fois esprit et matière. C’est l’école de Saint-Simon. Cette école enseignait qu’après les religions de la nature (le paganisme), qu’après la religion de l’Esprit (le christianisme), il y avait lieu de faire un nouveau progrès et, dans un dogme nouveau, de fonder dans une seule et même substance la matière et l’esprit. « Dieu est un, enseignaient-ils ; Dieu est tout ce qui est ; tout est en lui, tout est par lui ; tout est lui. L’Être infini se manifeste à nous sous deux aspects principaux, comme esprit et comme matière, comme intelligence et comme force, comme sagesse et comme beauté. » — « Dieu est tout ce qui est, disent-ils encore ; nul de nous n’est hors de lui… Chacun de nous vit de sa vie ; et tous nous communions en lui ; car il est tout ce qui est[1]. » Cependant, tout en professant ces principes, si analogues à ceux de Spinoza, ils essayaient en même temps de se séparer de lui, en lui reprochant d’avoir imaginé un monde mort et abstrait et de n’avoir pas reconnu les attributs essentiels de la divinité, l’amour et la vie. » C’est à des idées semblables qu’aboutissait Pierre Leroux, soit dans son article sur Dieu dans l’Encyclopédie nouvelle, soit dans son livre de l’Humanité. La littérature et la poésie ressentirent aussi vivement l’influence de

  1. Exposition de la doctrine saint-simonienne.