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cipes généraux de l’Ethique, mais toute l’économie du système, avec une largeur et une pénétration tout à fait supérieures. L’espace lui manquant pour une réfutation, il s’était contenté d’indiquer avec précision les points sur lesquels il faisait des réserves. Elles se réduisaient à deux principales : 1o N’est-ce point une erreur capitale d’égaler la pensée et l’étendue, et de donner aux corps le même degré de réalité et de perfection qu’aux âmes ? 2o L’unité radicale de l’existence, la consubstantialité de Dieu et de l’univers, se peut-elle concilier avec l’individualité des êtres finis, avec la liberté des êtres moraux ?

En résumé, l’école de Victor Cousin avait rendu à la philosophie de Spinoza un triple service. D’abord, elle avait dégagé l’honneur du philosophe de toutes les accusations odieuses et imméritées dont il était l’objet et lui avait restitué sa place dans la série des grands penseurs et des philosophes de premier rang ; en second lieu, elle l’avait fait connaître, exposé d’une manière claire et intelligible, et l’avait ainsi disculpé du reproche d’obscurité impénétrable sous lequel il était enseveli depuis deux siècles ; enfin elle l’avait traduit et mis entre les mains de tout le monde. Voilà ce que fit pour Spinoza une école[1] que l’on a souvent accusée d’orthodoxie étroite et intolérante.

Il est vrai de dire que, si l’école de Cousin a rendu toute justice au génie de Spinoza, si elle a répandu les fausses imputations dont il était l’objet, si elle a fait de grands efforts pour comprendre et le faire comprendre, elle a tenu à conserver son indépendance à l’égard de ce grand penseur : elle ne s’est pas crue obliger à abdiquer par rapport à lui toute liberté de penser. Elle a maintenu contre lui son propre principe, à savoir le principe de la personnalité humaine, qui était lié à celui de la personnalité divine. L’école de V. Cousin était surtout engagée dans ce point de vue par deux raisons fondamentales : 1o au point de vue métaphysique, par l’influence très puis-

  1. Ajoutez aux ouvrages précédemment indiqués d’autres écrits partant de la même école philosophique : 1o Damiron, Mémoire sur Spinosa et sa doctrine, 1843 (tom. IV des Mémoires de l’Académie des sciences morales et politiques) ; 2o Francisque Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne (ch. XV-XIX, Paris, 1854) ; 3o Paul Janet, Spinoza et le spinozisme (Rev. des Deux-Mondes, 15 juillet 1867 ;  : cet article avait pour occasion les écrits inédits de Spinoza que Saisset n’avait pas connus ; 4o Nourrisson, Spinosa et le naturalisme contemporain (Paris, 1866), souvent cité dans le présent travail ; 5o Henri Martin, Dissertato de Spinosa systemate, 1836. Il n’est que juste de reconnaître que, dans un autre ordre d’idées et de la part d’autres opinions philosophiques, quelques travaux sérieux sur Spinoza doivent être mentionnés : 1o Armand Saintes, Histoire de la vie et des ouvrages de Spinosa (Paris, 1842) ; 2o Jean Reynaud, Encyclopédie nouvelle, art. Spinoza.