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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

du rythme ? Enfin y a-t-il, comme l’a soutenu M. M. Lussy, un accent rythmique auquel on peut aussi donner le nom d’accent pathétique[1] ?

Ces mêmes questions se représentent à l’esprit lorsqu’on a lu l’excellent paragraphe sur la mesure. Toutes les raisons techniques et physiologiques qui justifient le rôle de cet élément musical, l’auteur les énumère avec une précision lumineuse. En terminant, il recommande d’éviter la monotonie d’une mesure symétrique à l’excès. Que l’on emploie, dit-il, les notes pointées, les syncopes, les soupirs, tous les moyens qui tendent à désorganiser cette unité rigide et à introduire dans la mesure un peu de cette liberté nécessaire à l’art. — Encore une fois, dirons-nous, pourquoi la liberté de la mesure, comme la liberté du rythme, est-elle nécessaire à l’art ? Les forte et les piano n’ont-ils donc pour but que de désorganiser l’unité trop rigide ? Ce serait là un résultat purement négatif. Or l’accent, car l’auteur le nomme, est chose positive, expressive, psychologique, et n’est pas, dans ce chapitre, examiné par lui en tant que tel.

Les deux pages où il est parlé du mouvement sont bonnes, mais insuffisantes. Il y a un fait digne de la : plus grande attention : c’est que le même morceau affecte des caractères opposés selon qu’il est exécuté avec lenteur ou avec vitesse. En voici un exemple : tout le monde se rappelle l’air si pathétique de l’opéra d’Halévy, la Juive :

Rachel, quand du Seigneur la grâce tutélaire
À mes tremblantes mains confia ton berceau.

Chanté avec lenteur dans son mouvement, il émeut profondément. On a commis le sacrilège de le mettre en quadrille ; avec le mouvement de danse, il tombe au dernier degré de la trivialité et de l’insignifiance. Pourquoi cela ? M. Ch. Beauquier ne s’est pas posé la question. C’était cependant le lieu de la traiter et d’y appliquer l’analyse psychologique. Quand l’auteur reviendra plus tard à ce problème, nous y reviendrons avec lui.

Cette méthode aurait sans doute aussi jeté un jour nouveau sur les causes qui nous ont fait un besoin de la diversité des tons et des modes. À côté des considérations physiologiques, on recueille quelques vues plus profondes, mais qui ne sont guère qu’indiquées. Des phrases comme celles-ci : « L’emploi des divers tons n’est pas indifférent au caractère de l’œuvre. » — « En écrivant la mélodie dans un autre ton, on en modifie certainement beaucoup l’effet, » de telles phrases, aussi concises que justes, appellent tant d’explications qu’elles ressemblent à de simples têtes de chapitres. J’en dirai

  1. Traité de l’expression musicale, ch. III et IV. (Paris, Hengel, 1874.)