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P. JANET. — le spinozisme en france

nature (1763)[1], si admiré de Gœthe, et qui en effet, comme Diderot, mais plus que Diderot lui-même, peut être considéré comme le précurseur de la philosophie de la nature de Schelling[2]. Robinet est celui de tous les philosophes de son siècle dont les idées ont le plus d’analogie avec Spinoza, quoiqu’il ne paraisse pas plus qu’aucun de ses contemporains l’avoir particulièrement étudié. On n’y retrouve ni ses formules ni sa méthode. C’est le fond qui est spinoziste plus que la forme. Il n’affecte pas l’athéisme, comme les encyclopédistes, Mais il enseigne « l’incompréhensibilité de la nature divine ». Il combat l’ « anthropomorphisme ». Comme Spinoza, il nie que l’on puisse conclure de l’intelligence humaine à l’intelligence divine ; mais, plus conséquent que Spinoza, il n’admet pas même en Dieu l’attribut de la pensée ; comme Spinoza, il admet une « perfection absolue » et une « perfection relative », dont l’une n’est que la négation de l’autre. Il enseigne aussi, comme lui, « qu’il est au-dessous de Dieu d’agir pour une fin, » mais que néanmoins il ne faut pas conclure de là qu’il agisse au hasard. De même, Dieu n’est « ni libre ni nécessité ». Il n’a pas plus de « volonté » que d’intelligence. » En un mot, Robinet enseigne, sans en connaître l’origine, la doctrine alexandrine du Dieu sans attributs. Par là, il passe même au delà de Spinoza, Enfin, il essaye de concilier sa doctrine avec celle des Écritures, en disant qu’il n’a fait que développer la parole sacrée : « Je suis Celui qui est. »

Par d’autres raisons, une autre école philosophique, la plus savante et la plus rigoureuse du xviiie siècle, l’école de Condillac, se montra également opposée au système et à la méthode de Spinoza. Cette école en effet avait élevé contre la métaphysique toutes les objections que l’on a renouvelées de nos jours. Toutes les recherches sur les causes et les substances, le commencement et la fin des choses, sur le fini et l’infini paraissaient des recherches présomptueuses et chimériques, dignes de la scolastique. C’est ce que Condillac appelait des « systèmes abstraits ». Il croyait avoir fondé une métaphysique véritablement positive en la réduisant à l’analyse des sensations. En outre, il attachait une extrême importance à la méthode, à la définition des modes, à la règle fondamentale d’aller du connu à l’inconnu. Spinoza ne le satisfaisait nullement à ce point de vue. Aussi, dans son Traité des systèmes (1749), a-t-il soumis à une critique serrée et sévère le premier livre de l’Ethique. Il lui reproche d’avoir manqué

  1. 3 vol. in-8o. Amsterdam, 1763.
  2. Dom Deschamp représenterait plutôt le panthéisme logique ; Robinet, le panthéisme vitaliste et naturaliste.