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ce qui est plus probable, qu’il trouvât dans le spinozisme une métaphysique insuffisante. Au reste, nous savons peu de chose de cette réfutation, dont M. Beaussire ne cite rien et dont il ne nous donne qu’une courte analyse. Ce qui est certain, c’est que, si dom Deschamps se sépare de Spinoza, c’est sur certains points spéciaux de métaphysique : mais il s’accorde avec lui sur ce principe fondamental, à savoir que le créateur et la créature, la cause et l’effet, sont « deux choses purement relatives, qui n’ont et ne peuvent avoir d’existence que l’une par l’autre et l’une dans l’autre. Il enseigne en effet « que le tout universel est un être qui existe » et « dont tous les êtres sensibles ne sont que des nuances ». C’est, disait-il encore, « l’être universel, ce fonds métaphysique qui existe en tout et partout sous les nuances du physique. » Il distinguait le tout et tout. « J’entends, disait-il, par le tout, le tout de l’univers, la matière, le monde, etc. ; et j’entends, par tout, l’existence en soi, l’existence par elle-même. » C’est la distinction spinoziste de la nature naturante et de la nature naturée. Tout existe, disait-il, « métaphysiquement et physiquement à la fois. » Sans doute les détails du système ne rappellent pas Spinoza, et ils sont plutôt, comme nous l’avons dit, l’anticipation de la philosophie allemande ; mais c’est le fond qui est commun entre les deux doctrines.

C’est ce qu’avait vu J.-J. Rousseau, auquel l’auteur avait fait part de son manuscrit et dont M. Émile Beaussire nous rapporte une lettre inédite, fort curieuse : « Que vous dirais-je ? Le système que vous annoncez est si inconvenable et promet tant de choses que je ne sais qu’en penser. Si j’avais à rendre l’idée confuse que j’en conçois par quelque chose de connu, je le rapporterais à celui de Spinoza… Il paraît que vous établissez votre principe sur la plus grande des abstractions. Or la méthode de généraliser et d’abstraire m’est très suspecte. Nos sens ne nous montrent que des individus voulant tout réunir pour la force de notre entendement : c’est vouloir pousser le bateau dans lequel on est sans rien toucher au dehors. Nous jugeons par induction jusqu’à un certain point du tout par les parties ; il semble au contraire que de la connaissance du tout vous voulez déduire celle des parties. Je ne conçois rien à cela. » Cette remarquable critique ne s’applique pas seulement à dom Deschamps, mais à Spinoza, à Hegel, à tous les partisans de la méthode spéculative. C’est donc encore un épisode important dans l’histoire critique du spinozisme en France.

Un noble, et deux prêtres, tels furent les coryphées du spinozisme au xviiie siècle. On peut y joindre un autre philosophe, également transfuge de l’ordre des Jésuites, Robinet, auteur du livre De la