Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
revue philosophique

confondre avec le spinozisme convenu qui avait cours à cette époque. Voici comment s’exprime le P. Dutertre :

« Le Dieu (le Dieu de Malebranche}, cette idée d’être vague et abstrait, renferme toute réalité, puisque toute réalité est être ; il renferme tout être particulier existant ou possible, puisque rien n’est en particulier qu’en tant qu’il est un tel être ; il renferme toute perfection, puisqu’il est la perfection en général ; il renferme tous les esprits, tous les corps, toutes les modalités des esprits et des corps, puisque les esprits, les corps, les modalités des uns et des autres sont des êtres ; il renferme tout, puisque tout se réduit à être et à manière d’être. Mais il renferme toutes ces choses non comme parties actuelles, à l’égard desquelles il soit un tout actuel, ainsi que l’a faussement pensé Spinoza ; mais il les renferme comme parties subjectives, en tant qu’il est genre suprême à l’égard de tout être particulier, de la même manière que l’idée générique du cercle renferme tel ou tel cercle déterminé. »

Ce serait sans doute une question de savoir si la substance de Spinoza est la même chose que l’être indéterminé de Malebranche ; mais ce qui est certain, c’est que, dans Spinoza, les êtres contingents ne sont pas du tout les parties actuelles d’un tout actuel, mais beaucoup plutôt les parties subjectives du genre suprême de la substance ou de l’être, de sorte que Malebranche ressemble bien plus encore à Spinoza que le P. Dutertre ne l’a cru.

Bossuet est encore un des écrivains philosophes de ce siècle qui avaient entrevu souvent les conséquences possibles des principes de Descartes. « Les disciples, dit-il, ont fort embrouillé ses idées ; les siennes même n’ont pas été fort nettes, lorsqu’il a conclu l’infinité de l’étendue par l’infinité de ce vide qu’on imagine hors du monde ; en quoi il s’est fort trompé ; et je crois que de son erreur on pourrait induire, par conséquences légitimes, l’impossibilité de la création et de la destruction des substances, quoique rien au monde ne soit plus contraire à l’idée de l’être parfait. » (Lettres diverses, CLVII, clii, à Leibniz, édition de Versailles, tom. XXXVII, p. 492.)

Nous avons déjà signalé dans le P. Dutertre une assimilation plus ou moins exacte de Malebranche et de Spinoza. Mais nous possédons sur cette question un document bien autrement important, et il ne s’agit plus d’une critique vague, lourde, abstraite, dirigée contre des livres, qui ne parlent pas, et un système qui ne se défend pas. Il s’agit maintenant de Malebranche lui-même, personnellement provoqué, mis au défi, sur le ton du plus haut respect, mais avec une insistance, une ténacité, une vigueur de logique des plus redoutables, et pressé jusqu’à l’importunité de reconnaître ou