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en diminuant. Et, de même qu’un rythme plus riche et plus complexe s’adresse davantage à l’intelligence, de même c’est une preuve d’ingénieuse intelligence que de trouver des rythmes nouveaux, inattendus. Ce genre d’invention fait partie de l’originalité de certains musiciens, notamment de M. Gounod. M. Ch. Beauquier pourrait d’autant plus aisément adopter notre double loi que ses analyses y aboutissent d’elles-mêmes et que ses exemples la justifient presque toujours[1].

Les diverses espèces de danse viennent à l’appui de ces deux lois. Pour faire gambader les sauvages, les voyageurs disent que c’est assez de battre la mesure à tours de bras sur une grosse caisse ou sur tel autre instrument de percussion. Les danseurs de salon qui se bornent à marquer les temps forts du mouvement ne demandent au quadrille qu’un rythme vif, le tenant d’ailleurs à peu près quitte de la mélodie, qu’ils n’écoutent presque pas. Mais la danse de théâtre, la danse d’art et d’intelligence, appelle des rythmes dont la traduction visible s’accomplisse par des mouvements multiples et ordonnés, associant la souplesse à la régularité. J’omets pour le moment le côté vraiment expressif de cette danse savante et sculpturale. Il en sera parlé plus tard.

Simple ou compliqué, vulgaire ou élégant, ordinaire ou ingénieux, le rythme abaisse la qualité de la musique où il prédomine. Dès qu’il se fait trop sentir, la part des nerfs augmente aux dépens de la part de l’esprit. La raison en est que, tout en rentrant dans l’essence de la musique, il est l’élément le moins musical de cette essence. En voulez-vous la preuve ? Comparez un chant sans rythme à un rythme sans chant. Le tambour qui bat une marche exécute des rythmes très corrects, mais qui ne se lient à aucun chant. Inversement, un morceau de plain-chant est un air sans rythme, Lequel des deux est le plus musical ? C’est le morceau de plain-chant sans contestation. Nous dirons donc que le rythme est un des éléments importants de à musique, mais non pas le plus important.

M. Ch. Beauquier a peu de penchant pour les airs dont le rythme est trop marqué. Il demande que le mouvement rythmique soit régulier, « mais de cette régularité artistique qui ne saurait se passer de la liberté. » Rien de plus juste. Un peu plus d’analyse cependant n’eût pas nui à cet endroit. On y voit naître quelques questions, par exemple celles-ci : Dans quels cas le rythme doit-il être plus libre ; dans quels autres le sera-t-il moins ? En quoi consiste cette liberté

  1. Voir surtout les pages 68-69, où il est dit que le plaisir de la musique serait bien peu élevé s’il n’était qu’une excitation nerveuse analogue à celle que procurent l’alcool et le café. Nous citons ces pages plus loin.