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hors l’impiété, tout est inintelligible, et qui, à la honte de l’humanité, serait tombé en naissant dans un oubli éternel et n’aurait point trouvé de lecteur, s’il n’eût attaqué l’Être suprême, cet impie, dis-je, vivait caché, retiré, tranquille ; il faisait son unique occupation de ses productions ténébreuses et n’avait besoin pour se rassurer que de lui-même. Mais ceux qui le cherchaient avec tant d’empressement, ces hommes frivoles et dissolus, c’étaient des insensés qui souhaitaient de devenir impies et qui cherchaient dans le témoignage d’un homme obscur, d’un transfuge de toutes les religions, d’un monstre obligé de se cacher aux yeux de tous les hommes, une autorité déplorable et monstrueuse qui les affermit dans l’impiété[1]. » Cette diatribe insensée, qui prouve une si étrange ignorance de la vie de Spinoza et de sa doctrine, nous donne le mot de l’opinion ecclésiastique et catholique sur Spinoza au xviie siècle.

Mais ce ne sont pas seulement des allusions plus ou moins vives ; ce sont des attaques directes, des réfutations en forme, qui viennent porter la guerre jusque dans le sein du spinozisme. Nous en signalerons trois principales, pour ne parler que de la France : celle de François Lamy (1696)[2] ; celle de Bayle[3], dans son dictionnaire (1697) ; et enfin celle de Fénelon, dans son Traité de l’existence de Dieu (1718)[4].

Le livre de D. Lamy a pour but de prouver que Spinoza est « un athée » ; on ne distinguait pas alors entre l’athéisme et le panthéisme : « car, dit-il, de ne reconnaître qu’un être universel indistingué de toute la nature et de l’assemblage de tous les êtres ; un être sans liberté et sans providence, qui, sans but et sans fin, sans choix et sans élection, soit emporté par une nécessité aveugle et inévitable en tout ce qu’il fait, ou plutôt qui ne fait rien, à qui toutes choses échappent aussi nécessairement qu’un torrent à sa source… il nous paraît qu’il n’en faut pas davantage pour former l’athéisme. » Quant à la réfutation de D. Lamy, elle s’appuyait sur les principes de Descartes : « Je suis composé, disait-il, de deux êtres, d’un être pensant et

  1. Massillon, Sermon pour la quatrième semaine de Carême : Des doutes sur la religion. Ce passage, que l’on n’avait pas remarqué, a été signalé par M. Nourrisson dans son Spinoza et le naturalisme contemporain (Paris, 1868), ouvrage plein de renseignements bibliographiques curieux et où nous avons beaucoup puisé.
  2. Nouvel athéisme renversé, ou réfutation de Spinoza tirée de la nature de l’homme (Paris, 1696).
  3. Nous citons Bayle, quoiqu’il ait écrit en Hollande, mais parce qu’il appartient à la France par sa nationalité ; son Dictionnaire est de l’année 1697.
  4. La réfutation du spinozisme se trouve dans la deuxième partie du Traité de l’existence de Dieu, qui ne paru qu’en 1718, trois ans après la mort de Fénelon, et six ans après la publication de la première partie.