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LE SPINOZISME EN FRANCE


L’histoire du spinozisme en France peut se diviser en trois périodes, Au xviie siècle, Spinoza fut un objet de curiosité pour quelques esprits forts, d’exécration et d’horreur pour les croyants, qui n’y virent qu’un « monstre ». Au xviiie siècle, à quelques exceptions près, il est dédaigné et négligé comme obscur, barbare, indéchiffrable, Au xixe siècle, grâce surtout à l’influence allemande, il revient en honneur, trouve de nouveaux disciples et est traité avec respect même par ses adversaires. Ce sont ces trois phases que nous allons étudier.

Spinoza ne fut connu pendant sa vie que comme adversaire de la religion chrétienne. Il n’avait publié (1670) que son Tractatus theologico-politicus. Ce ne fut qu’après sa mort et après la publication des Opera posthuma (1677), qui contenaient l’Ethique, que son système de métaphysique eut des adversaires et des partisans. Mais il ne fut d’abord considéré que comme un épicurien athée, semblable à ceux qui vivaient alors en France et qui étaient plus nombreux qu’on ne croit : car nous voyons les plus grands écrivains, Pascal, Bossuet, Fenélon, La Bruyère, rivaliser d’éloquence pour les réfuter. L’un d’eux, le poète d’Hénault, fit exprès le voyage de Hollande pour voir Spinoza, qui, nous dit Bayle, « ne fit pas grand cas de son érudition. » C’était en effet un épicurien raffiné, « débauché avec art », qui « se piquait l’athéisme », très éloigné de comprendre la haute et austère philosophie du philosophe hollandais. Il avait commencé une traduction de Lucrèce dont il nous reste quelques beaux passages. Il avait pour amie Mme Deshoulières, qui, malgré ses Bergeries, était aussi passablement esprit fort, et dans les vers de laquelle Bayle croit apercevoir des traces de spinozisme[1], Mais il est probable qu’il y à une confusion entre l’épicuréisme et le spinozisme.

  1. Notamment dans les vers suivants :

    Courez, ruisseaux, courez, fuyez et reportez
    Vos ondes dans le sein des mers dont vous sortez ;
    Tandis que, pour remplir la dure destinée
    Où nous sommes assujettis,
    Nous irons reporter la vie infortunée
    Dans le seïa du néant dont nous sommes sortis.