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orchestre et donne à chaque acteur de ce drame musical un type particulier[1]. »

Ce langage aussi juste que frappant en ce qui a trait à l’importance du timbre dans l’orchestre, révèle un musicien de : naissance et un esprit pénétrant. Toutefois, il faudra chercher en temps et lieu si les instruments ayant, grâce au timbre, une personnalité, une voix distincte, un chant à eux, un rôle particulier d’acteur dans un drame, il est exact de dire que le timbre agit, dans la musique instrumentale, tout autrement que dans la musique vocale. C’est sur ce point que nous différons le plus avec l’auteur ; mais même sur ce point, moyennant de bonnes explications, nous pourrions nous accorder avec lui.

Son analyse du rythme est encore plus étendue et plus instructive, quoiqu’il ne soit pas impossible d’y faire quelques utiles additions. Voulez-vous, dit : il, isoler le rythme ? Au lieu de chanter l’air : Au clair de la lune, tambourinez-le avec les doigts : sur la table. Les intonations ont disparu. Il ne reste plus que deux choses : la valeur respective des notes et le retour périodique de membres semblables symétriquement arrangés. Mais ces deux éléments ne sont rien moins que l’ordre dans la durée, non point par l’uniformité, mais par la conciliation heureuse de l’un et du divers.

Le rythme exerce une action énergique sur la sensibilité physique de l’homme. En concluerons-nous, avec l’auteur, que, pour en goûter le plaisir, le système nerveux suffise ? Sans doute les sauvages, les enfants, les animaux même sont sensibles au rythme qui ébranle les fibres nerveuses avec ordre et dont les commotions peuvent être subies, que l’intelligence intervienne ou non. Mais en même temps que le rythme est mouvement, secousse, ébranlement, il est ordre ; régularité, arrangement périodique. Que le plaisir de : la secousse et, qu’on nous passe le mot, du coup de fouet, s’adresse surtout aux nerf de l’auditeur, c’est évident ; mais : il y a un autre plaisir éprouvé, celui que cause l’ordre compris par la raison et goûté par l’âme. Le rythme : a donc un aspect intelligible, dont ne jouit ni le sauvage ni l’animal et dont l’homme ressent le charme intime. Platon, l’observateur merveilleux, a mis en vive clarté cet élément intellectuel du : rythme et le sentiment que nous en éprouvons à l’exclusion des autres animaux. Dans le : dialogue les Lois, l’Athénien, qui n’est autre que Platon lui-même ; dit à ses deux interlocuteurs : « Voyez donc si : ce que je prétends ici est vrai et pris dans la nature. Je dis qu’il n’est presque aucun animal qui, lorsqu’il est jeune, puisse

  1. Ibidem