Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/666

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
662
revue philosophique

W. Preyer. La psychogenèse. — Cet article, traduit de l’allemand du physiologiste d’Iena contient des détails intéressants sur le développement psychologique de l’enfant, « histoire qui n’a jamais été écrite scientifiquement » (remarquons que Preyer ne cite nulle part les travaux de ses devanciers, sauf Kussmaul). Il se propose d’étudier la volonté, la perception et la pensée.

La volonté se développe la première. Les premiers cris de l’enfant sont purement réflexes ; il en est de même des mouvements des bras et des jambes. Les nouveau-nés sont, comme la très bien remarqué Virchow, « des êtres spinaux » chez lesquels l’intelligence n’a pas encore de pouvoir dominateur, pour réprimer les mouvements inutiles, l’hyperkinésie, La première apparence de volonté paraît consister dans la manière dont l’enfance tient la tête, bien plus que dans les mouvements des membres et des lèvres ; ce n’est qu’au bout de quatorze semaines qu’il peut tenir la tête droite. Par des conquêtes successives de la volonté, il apprend à s’asseoir, à rester debout, à marcher, à tenir et manier un objet.

Pour les sensations, à l’origine la peau de l’enfant n’a qu’une sensibilité très faible. Le travail de Kussmaul « sur la vie psychique chez les enfants nouveau-nés », publié il y a une vingtaine d’années, contient d’intéressantes études sur ce sujet, notamment sur l’organe du goût. On a tort de croire que le nouveau-né prend indifféremment tout ce qu’on lui offre. — Les expériences de Biff et Gudden montrent que le sens de l’odorat est très développé chez les jeunes animaux. Galien, ayant mis un chevreau qui n’avait jamais vu sa mère dans un endroit où il y avait du vin, de l’huile, du miel, du blé et du lait, l’animal alla d’un plat à l’autre, les flaira tous et ne but que le lait : c’est un exemple assez curieux de souvenir héréditaire.

Tous les nouveau-nés sont d’abord sourds, parce que le passage auditif externe n’est pas ouvert et que l’oreille moyenne contient trop peu d’air.

Pour la vision, les mouvements des yeux sont d’abord aussi irréguliers que ceux des mains ; l’un regarde à droite, l’autre à gauche. Ce n’est qu’au bout de six jours que la contraction des muscles oculaires est symétrique. C’est un appui considérable pour la théorie empirique de la perception de l’espace telle que Helmholtz l’a soutenue. D’après ses observations, l’auteur conclut « qu’il n’y a pas de conscience de l’espace même au bout de trois semaines ». On a tort de croire que l’enfant regarde, parce qu’il fixe une lumière ; c’est là un état purement machinal. L’enfant ne regarde que lorsque son œil est capable d’accommodation. Il distingue ensuite les couleurs, d’abord le jaune et le rouge ; mais il ne distingue pas bien les autres avant deux ans révolus. Il n’acquiert que lentement l’appréciation des formes, des distances, des grandeurs (ainsi il porte à sa petite bouche d’énormes morceaux de pain).