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ANALYSES. — C. S. PEIRCE. On the Algebra of Logic.

plus ou moins complète, plus ou moins catégorique, de la possibilité logique ou de la réalité effective de ce sujet. Il est donc clair que, si l’on prétend changer le caractère de cette affirmation relative en passant d’une proposition universelle à une particulière subordonnée, la conclusion est illégitime, et M. Peirce a certainement raison sur ce point.

Mais faut-il admettre avec lui qu’il y a dans les propositions particulière un caractère d’affirmation du sujet qui ne se rencontre point dans les propositions universelles ?

Il est certain que la forme vulgaire en français (il y a des… qui) des propositions particulières semble lui donner raison, au moins en partie. Il semble d’ailleurs qu’on puisse être assez souvent mieux déterminé à croire à l’existence du sujet par la forme particulière que par la forme universelle.

S’il m’arrive de lire, dans un prochain récit de combat : Les tambours battent la charge, comme je sais qu’ils ont été supprimés dans l’armée française, je me dirai que c’est un lapsus du narrateur, et qu’il veut simplement décrire le moment où, s’il y avait eu des tambours, ils auraient battu la charge. Mais si je lis : Des tambours commencent à battre, etc., je puis mieux croire à un souvenir précis ou à un renseignement exact ; je me demanderai si les tambours n’auraient point été rétablis à mon insu.

Mais, abstraction faite de ces observations, il me semble impossible d’établir, pour la question qui nous occupe, une distinction tranchée entre les propositions particulières et les universelles. Un matérialiste peut dire : Il y a des âmes généreuses ; il ne dira point : L’âme est immortelle. On ne peut donc, en thèse générale, se prononcer sur la nature et le degré de l’affirmation du sujet que si l’on connaît la proposition tout entière et si l’on sait qui l’énonce et dans quelles circonstances.

Le lecteur a dû voir que, dans cette discussion, je me suis plus attaché aux usages de la langue (et d’une langue particulière) qu’à des principes d’une application universelle. C’est du même point de vue que je me permettrai de critiquer la théorie du syllogisme de M. Peirce, et en général l’emploi des notations algébriques en logique.

L’aigorithme que propose M. Peirce se trouve, de fait, très voisin de celui que j’ai indiqué ici même[1] comme pouvant se prêter à l’exposé de la logique traditionnelle. Mais, bien loin de se rapprocher de celle-ci, la théorie du syllogisme de l’auteur américain s’en éloigne pour ainsi dire autant que possible, car, sans se préoccuper aucunement de la possibilité de traduire ses formules en langage ordinaire, il applique indifféremment au sujet et au prédicat les notations du particulier et de la négation, et arrive ainsi, à la suite de Morgan, à multiplier outre toute mesure les modes des diverses figures.

L’algèbre, comme on sait, est devenue une langue universelle. Or on

  1. Revue philosophique, VI, p. 301.