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aveugle d’un pouvoir occulte : il pense, il observe, il réfléchit, il tire parti de ses expériences ; il est donc intelligent ; ce n’est pas assez dire, il est raisonnable. Ainsi préoccupé de relever l’animal sous le rapport des facultés intellectuelles, M. Büchner a réuni tous les faits qui lui ont paru curieux, étonnants, propres à donner une haute idée de la sagesse de ses clients. C’est ainsi qu’il a été amené à composer un recueil des faits les plus surprenants qu’il trouvait à sa portée. En somme, ce livre est, sous un format plus volumineux, le pendant de nos Merveilles, des ouvrages de M. Menault par exemple sur l’Intelligence des animaux et l’Amour maternel chez les animaux, que M. Büchner déclare excellents. « Le titre le plus convenable pour cet ouvrage, dit-il lui-même, serait peut-être celui de Légendes du monde animal, tant les sujets qui y sont traités semblent appartenir au domaine merveilleux de la fantaisie, » Bref c’est un travail de vulgarisation, un livre de science amusante au service des tendances philosophiques un peu confuses de l’auteur.

Le public qui recherche ce genre de composition y trouvera son compte. C’est une lecture attachante sans contredit que celle de la Vie psychique des bêtes. Les faits intéressants y abondent, et on peut dire qu’en gros l’auteur est au courant des publications originales les plus récentes sur le sujet. Il à mis à profit non seulement les travaux des Huber, de Darwin et de Wallace, mais ceux de Forel, de Moggridge, de Bates et de Lubbock. De plus, il a provoqué de la part d’un grand nombre de savants et d’amateurs l’envoi de renseignements nouveaux qui donnent un attrait de plus à son livre. Nous n’en avons pas de cette catégorie qui contienne une aussi ample moisson de « curiosités ».

Quant à la valeur scientifique de l’ouvrage, elle est faible, précisément parce que l’auteur subordonne tout à sa propagande philosophique. Toutes les histoires lui sont bonnes, dès qu’elles servent à exalter l’intelligence des animaux. Il s’en faut que tous ces récits soient « empreints du sceau de la réalité et de l’esprit scientifique le plus rigoureux ». Le Dr Büchner manque absolument de critique comme zoologiste, pour n’avoir pas fait ce qu’il recommande de très haut aux autres de faire (p. 41), c’est-à-dire pour être resté toute sa vie incapable d’observer les bêtes de ses propres yeux. Dans tout ce gros volume, pas un fait qui vienne de lui ; et on sent souvent qu’il est même trop peu familiarisé avec les mœurs journalières des animaux les plus connus pour déterminer dans les récits extraordinaires ou concernant les animaux des pays lointains la part du vraisemblable et celle du merveilleux. Quand il a pour guide Huber ou Forel, tout est bien ; mais, quand il suit quelque narrateur dépourvu de bonne foi ou de discernement, l’emprunt vaut ce que vaut la source. Ainsi plusieurs récits du Jardin zoologique (journal allemand) nous paraissent suspects (p. 195). Nous n’ajoutons pas la moindre foi à l’observateur anglais qui nous montre un scarabée ( ?) de nom inconnu suspendant sa proie à une branche de bruyère (p. 496), Le correspondant de la page 474 a bien pu voir des