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plus jeunes et plus actives. Bien des gens, en notre temps si exclusivement attaché à l’expérience, la regardent comme un débris du passé, une institution surannée, une curiosité respectable, bonne à mettre dans un musée, comme les vieilles armures. C’est une idée fausse assurément. La logique est de tous les temps ; si elle est immuable, c’est que la vérité ne change pas ; elle ne fait pas de progrès, parce qu’elle est définitive : elle est la première des sciences exacte et la plus sûre des sciences positives. Mais il restait à montrer par quels liens elle se rattache à toutes les branches de la connaissance ; il restait à la mettre en harmonie avec l’esprit moderne, à lui rendre sa place dans le concert des sciences. C’est ce que Stuart Mill a tenté. Son grand effort n’a pas été perdu. Deux choses surtout dans son œuvre nous paraissent mériter une entière approbation et lui assurent une place honorable dans l’histoire de la logique.

C’est d’abord l’effort pour rapprocher la logique de la réalité, pour lui rappeler ses origines terrestres. Trop longtemps elle est restée confinée dans le monde de l’abstraction ; il semblait qu’elle fût tombée du ciel, et que le droit de régenter les autres sciences, qu’elle s’arrogeait souvent, lui vint de cette haute origine. Telle est sans doute la cause de son isolement actuel ; elle planait si haut qu’on a fini par ne plus la voir ; comme le Socrate d’Aristophane, elle était dans les nuées ; il fallait l’en faire descendre. En fin de compte, une science ne mérite son nom que si elle nous apprend quelque chose de la réalité, et la réalité, quand il s’agit de science positive, se réduit à des phénomènes observables. La logique est une science comme les autres, parce que, comme les autres, elle a pour objet de nous faire connaître ce qui est. Elle a ses procédés, ses méthodes ; mais, en dépit des apparences, elle ne perd jamais de vue le réel ; c’est de lui qu’elle part, et c’est à lui qu’elle revient. Stuart Mill plus que tout autre a eu le mérite de ramener la logique du ciel sur la terre.

Un autre mérite de Mill, c’est d’avoir introduit dans la logique sa psychologie, si fine et si pénétrante, et, par là, d’avoir éclairé plu sieurs des problèmes les plus importants de cette science. La psychologie est le trait d’union qui rattache la logique au réel. Montrer comment les concepts se forment à l’aide de sensations et en gardent toujours quelque chose, comment les jugements même les plus abstraits expriment toujours en dernière analyse des relations entre des faits, surtout comment les associations d’idées assemblent les matériaux du raisonnement et en dessinent si bien le plan qu’il n’attend plus que la ratification de l’entendement, c’était mettre à