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V. BROCHARD.la logique de j. stuart mill

de la connaissance : elle est comme un commis fidèle qui présente à la signature d’un ministre un projet d’arrêté tout préparé. Il est bien entendu que la logique ne doit s’occuper que de la dernière opération ; mais dans la réalité concrète, dans la vie réelle de l’esprit, toutes les deux s’accomplissent presque en même temps. L’abstraction peut les séparer : voilà pourquoi l’on dit souvent que le syllogisme est stérile ; la réalité les unit ; et c’est pourquoi il y a un syllogisme vivant, qui est fécond et actif. C’est par lui que la pensée, impatiente des limites imposées par l’expérience, s’élance au delà de l’espace et du temps présent. C’est par lui qu’elle accomplit ces sortes d’opérations à long terme que l’expérience vient plus tard avouer ou désavouer. C’est par lui surtout que, bouleversant les données de l’expérience pour les dissoudre et en former de nouveaux composés, elle conçoit des choses que la réalité ne lui a jamais montrées, dont elle affirme pourtant la possibilité et qu’elle finit par réaliser. C’est parce qu’elle connaît les lois de la nature mieux que la nature elle-même qu’elle peut la vaincre en lui obéissant. Toute invention, toute grande découverte a commencé par être une hypothèse, puis un syllogisme dans la tête de son inventeur, et c’est la force invincible du raisonnement qui a donné aux grands inventeurs leur indomptable persévérance.

Seulement, et c’est ce que Mill a eu le tort de ne pas reconnaître, le syllogisme ne peut servir de garantie aux opérations de la pensée que s’il repose sur un principe universel, s’il donne une règle absolue, qui soit supérieure aux faits qu’il s’agit de connaître. Un fait, nous l’avons montré, n’est pas une caution suffisante pour un autre fait. Le vrai syllogisme dépasse l’inférence particulière à laquelle Mili voudrait le réduire, de toute la différence qui sépare la certitude de l’hypothèse, la démonstration de la conjecture.

III

La logique est une science faite. L’ère des découvertes, on peut l’affirmer sans crainte, est close pour elle. Les tentatives de Hamilton pour étendre son domaine, si intéressantes qu’elles soient, n’ont pas donné de grands résultats[1]. Mais, à défaut de réformes qu’elle ne réclame pas et de transformations auxquelles elle ne saurait se plier, il y avait quelque chose à faire pour cette science. On pouvait la faire sortir de l’isolement où elle se trouve vis-à-vis des sciences

  1. Voir sur ce point Mill, Philos. de Hamilton, ch. XXII et XXII. et Renouvier, Essais de critique générale, 1er Essai. t. II, p. 185, 2e édition.