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V. BROCHARD.la logique de j. stuart mill

rience. Finalement, les mêmes rapports existent, mutatis mutandis, entre les idées extraites des choses et les choses elles-mêmes : et on peut en sécurité affirmer des unes ce qu’on a reconnu être vrai des autres. Après avoir exprimé les phénomènes par des idées, et travaillé sur les idées ainsi obtenues, l’esprit peut, à la fin, traduire de nouveau les idées en phénomènes, comme on rend aux chiffres, après la solution d’un problème, leur valeur concrète qu’on avait momentanément écartée : il ferme ainsi le cycle de ses opérations logiques, et parti de la réalité sensible, il y revient.

Stuart Mill a bien vu qu’en fait la pensée logique se rapporte toujours à la réalité, et que la logique, comme toute science, n’a d’intérêt, en fin de compte, que par ce qu’elle peut nous apprendre de cette réalité ; c’est pourquoi il a voulu substituer une logique de la vérité à la logique purement abstraite de la conséquence. Comme il a trouvé la croyance également au point de départ de la pensée, quand il s’agit uniquement des phénomènes, et au point d’arrivée, quand l’esprit applique aux choses ses conclusions, et comme c’est la croyance qui, en s’ajoutant aux représentations, en fait pour nous des réalités, il a cru que l’esprit ne cesse pas un seul instant de raisonner sur les choses. C’est cet élément, étranger à la pensée proprement dite, qui lui a dissimulé la véritable nature de la pensée. Il n’a pas vu que, la croyance restant partout la même, son objet change, et qu’après avoir porté sur des faits elle porte sur des idées pour revenir aux faits ; il n’a pas vu que la logique de la vérité n’arrive à la vérité que parce qu’elle est la logique de la conséquence. Son principal tort est de ne s’être pas souvenu lui-même de ce que pourtant il répète souvent : c’est au métaphysicien seulement, non au logicien qu’il appartient de s’occuper de la croyance.

On reprochera peut-être à la théorie qui vient d’être exposée d’introduire dans la logique des éléments et des considérations qui lui sont étrangères, et de ne la réconcilier avec la science et la réalité qu’en la dénaturant. Un tel reproche ne serait pas fondé. Le domaine de la logique est nettement circonscrit ; elle a affaire uniquement aux concepts ; elle est en elle-même purement subjective et abtraite : elle demeure intégralement telle que les anciens logiciens l’ont connue. Mais la logique n’est pas seulement un exercice d’école (on l’a trop considérée comme telle) ; sans perdre son caractère propre et ses principes, elle peut descendre de la sphère abstraite ou on l’a trop confinée : elle peut se mêler aux opérations actives et concrètes de l’esprit, elle prend part à sa vie. Dès lors il n’est pas interdit de chercher ses points d’attache avec la réalité, de montrer comment elle s’en éloigne, pour y revenir ensuite. Au fond, c’est