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V. BROCHARD.la logique de j. stuart mill

dans la réalité[1], et la forme, connue après la matière, existe avant elle, et plus qu’elle. En fin de compte, Aristote, comme l’a montré Ed. Zeller[2], est d’accord avec Platon sur le fond des choses, et on peut dire également qu’il renverse la doctrine de son maitre et qu’il la complète. Il est vrai aussi qu’il est malaisé de concilier ses affirmations lorsqu’il dit que l’universel n’est jamais réel, et que pourtant la science, qui cherche l’universel, a pour objet le réel[3] ; on ne sait pas bien non plus comment, si la forme est l’universel, elle peut être en même temps la substance[4]. Mais, quel que soit sur ce point le fond de sa pensée, il est certain que c’est de l’expérience qu’il fait sortir les concepts, et que, s’ils sont pour lui autre chose que la réalité sensible, ils expriment du moins cette réalité et ne lui sont point étrangers. On voit bien l’importance qu’il attache aux données des sens à la manière dont il néglige les objections dirigées contre la perception par Parménide et Démocrite[5].

La formation des concepts est la première opération que suppose la logique, le premier stade de la pensée logique ; mais nous ne sommes encore ici qu’au seuil de la logique. Si intimement que les destinées de la logique soient liées à la solution de cette question, c’est au psychologue ou au métaphysicien qu’il appartient de la résoudre. Il ne s’agit jusqu’ici que de généralisations ou d’inductions ; et tant que dure l’induction, la vraie logique n’a pas commencé.

Mais, une fois en possession des concepts, l’esprit les combine, les

  1. Anat. post. I, 2, 71, b, 33. — Phys., I, 1, 184, a, 16.
  2. Die Philosophie der Griechen, Dritte Auflage (Leipzig, Fues, 1879), zweiter Theil, zweite Abtheilung, pp. 169, 798, etc. — Voici comment Zeller exprime la différence du point de vue de Platon et de celui d’Aristote sur la question qui nous occupe : « Während Plato dadurch zur Idee hinführen will, dass er den Blick von der Erscheinungswelt abkehrt, in der seiner Meinung nach hüchstens eine Abspieglung der Idee, nicht diese selbst, angeschaut wird, so bestent nach aristotelicher Ansicht die Erhebung zum Wissen vielmehr darin, dass wir zum Allgemeinen der Erscheinung als solcher vordringen ; oder Sofern beide die Abstraktion vom unmittelbar Gegebenen und die Reflexion auf das ihm zu Grunde liegende Allgemeine verlangen, so ist doch das Verhältniss dieser Elemente hier und dort ein verschiedenes : bei dem einen ist die Abstraktion vom Gegebenen das erste, und nur unter Voraussetzung dieser Abstraktion hält er ein Erkennen des allgemeinen Wesens für müglich, bei dem Andern ist die Richtung auf das gemeinsame Wesen des empirisch Gegebenen das erste, und nur eine nothwendige Folge davon ist es, das von sinnlich Einzelnen abstrahirt wird (p. 200).
  3. Aristote signale lui-même cette difficulté. Métaph., III, 4. Voy. Zeller, op. cit., p. 309.
  4. Εἰδος δὲ λέγω τὸ τί ἦν εἶναι ἑκάστου καὶ τὴν πρώτην οὐσίαν… λὲγω δʹοὐσίαν ἄνευ ὕλης τὸ τί ἦν εἶναι. (Métaph., VII, 1032, b, 1, 14.) Voy. Zeller. p. 344.
  5. Αἱ αἰσθήσεις ἀληθεῖς ἀιεὶ. De an. III 3, 428, a 14.) — Οὐδʹ ἡ αἴσθησις ψευδὴς τοῦ ἰδίου ἐστὶν… (Métaph., IV. 5, 1010, b. 2.) Voy. Zeller, p. 201.