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des concepts qui ne correspondent à rien de réel. Toutes les erreurs peut-être viennent de là. Mais toutes les vérités viennent aussi de ce que nous pensons par concepts. C’est affaire à nous de veiller à ce que nos concepts traduisent si fidèlement en langage intellectuel la liaison des faits qu’on puisse toujours faire l’opération inverse et les traduire en langage d’expérience. Un bon concept est celui qui, à toute réquisition, peut être remplacé par des faits réels, comme on change un bon billet contre des espèces sonnantes.

Ainsi, remplacer les phénomènes par les concepts, mais sans oublier que ces concepts représentent les phénomènes et n’en sont que l’expression en un autre langage : voilà les conditions essentielles de la logique. Les concepts ne sont pas suivant l’expression de Mill, « des universaux indépendants des objets particuliers », mais ils ne sont pas non plus de simples noms.

Ce n’est pas autrement, remarquons-le en passant, qu’Aristote concevait le rôle de l’universel. Lorsque les logiciens considéraient les idées comme des entités sans lien avec le monde sensible, ils s’inspiraient de Platon, mais ils méconnaissaient l’esprit du fondateur de la logique. Aristote reproche sans cesse à Platon d’avoir séparé la forme de la matière, l’intelligible du sensible ; c’est dans la sensation et dans l’expérience qu’il faut, suivant lui, chercher la vérité. Si la sensation et l’expérience ne suffisent pas à fonder la science, parce qu’il n’y a de science que du général, elles en sont du moins la condition indispensable : « la sensation ne donne pas la science[1]  ; » mais « il n’y a point de science sans la sensation[2]. » Il décrit l’expérience en termes que ne désavouerait pas Stuart Mill[3], et, comme Mill aussi, il déclare qu’on ne pense pas sans image[4].

Sans doute, il ne s’en tient pas là. Parti de la sensation, l’esprit doit s’élever jusqu’au concept, à la forme, qui est une réalité, une substance : ce qui est premier pour la connaissance est le dernier

  1. Οὐδὲ δι ίαἰσθήσεως ἔστιν ἐπίστασθαι· εἰ γὰρ καὶ ἔστιν ἡ αἴσθησις τοῦ τοιοῦδε καὶ μὴ τοῦδέτινος, ἀλλ’ αἰσθάνεσθαι γε ἀναγκᾶιον τόδε τι καὶ ποῦ καὶ νῦν· τὸ δὲ καθόλου καὶ ἐπὶ πᾶσιν ἀδύνατον αἰσθάνεσθαι· οὐ γὰρ τόδε οὐδὲ νῦν· οὐ γὰρ ἂν ἦν καθόλου· ἐπεὶ οὖν αἱ μὲν ἀποδείξεις καθόλου, ταῦτα δ’ οὔκ ἔστιν· αἰσθάνεσθαι, φανερὸν ὅτι οὐδ θ’ἐπίστασθαι δι αἰσθήσεως ἔστιν. (An. post., I, 31.)
  2. Οὔτε μὴ αἰσθανόμενος μηθὲν οὐθὲν ἄν μάθοι οὐδὲ ξυνείη· ὄταν τε θεωρῇ, ἀνάγκη ἅμα φάντασμά τι θεωρεῖν· τὰ γὰρ φαντάσματα ὥσπερ αἰσθήματά ἐστι, πλὴν ἄνευ ὕλης (De an., III, 8, 432, 9, 2.) — Οὐδὲ νοεῖ ὁ νοῦς τὰ ἐκτὸς μὴ μετ’ αἰσθήσεως ὄντα. De sensu, c. 6, 445, b. 16.
  3. Γίγνεται ἐκ τῆς μνήμης ἐμπειρία τοῖς ἀνθρώποις· αἱ γὰρ πολλαὶ μνῆμαι τοῦ αὐτοῦ πράγματος μιᾶς ἐμπειρίας δύναμιν ἀποτελοῦσιν… ἀποβαίνει δʹἐπιστήμη καὶ τέχνη διὰ τῆς ἐμπειρίας τοῖς ἀνθρώποις… (Métaph., I, 1, 980, b, 28.
  4. Οὐδὲ ποτε νοεῖ ἄνευ φαντάσματος ἡ ψυχή. De anim., 431, a, 14. — Cf. De mem., 1, 449, b, 30.