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une science vaine, celle qu’Aristote a fondée, que tant de siècles ont cultivée et appliquée. Il est aisé de la railler ; mais il serait encore plus aisé de montrer que ceux qui la tournent en dérision sont, à l’occasion, les premiers à invoquer ses principes et à se réclamer de son autorité. Quel savant oserait dire que la logique n’est rien et qu’on peut la mépriser impunément ? Il est vrai qu’on se contente souvent d’invoquer la logique sans savoir exactement ce qu’elle est : on en a le sentiment plutôt que la connaissance distincte ; mais cela suffit pour montrer qu’elle existe et qu’elle est, au fond, la moins contestée de toutes les sciences. Les logiciens, si différents que soient leurs points de départ, sont d’accord sur les applications : les auteurs de Port-Royal et Stuart Mill se donnent ici la main. Il est donc probable que les uns et l’autre ont mal reconnu les fondements de leur science.

A y regarder de près, on voit qu’aucune des deux théories n’est entièrement fidèle à son principe ; c’est cette infidélité même qui y introduit ce qu’elles ont de solide et les met en harmonie entre elles et avec le sens commun.

La Logique de Port-Royal n’a affaire qu’aux idées et semble négliger tout mode de connaissance qui n’est pas l’entendement ; mais elle fait à l’expérience sa part, sans le savoir ou au moins sans le dire. La théorie de la définition et celle de la division sont comme les portes basses par où l’expérience se glisse sans être reconnue. Les chapitres où sont traitées ces questions, sont placés à la fin de la seconde partie, sans qu’on aperçoive aucun lien logique entre eux et ce qui les précède. En réalité, les genres qui semblent connus à priori sont des souvenirs des faits ; une expérience vague les a formés ; le langage les a fixés ; le travail de plusieurs générations successives les a peu à peu rectifiés et mis en harmonie avec les choses, à mesure que l’observation en découvrait les inexactitudes. Une fois achevés, on oublie leur origine et on prend ces points d’arrivée de la pensée pour des points de départ ; mais la pensée n’est possible et en fin de compte n’a d’utilité que grâce au contenu des idées qui est emprunté aux faits. Cette science, si dédaigneuse qu’elle soit de la réalité sensible, plonge par ses racines dans l’expérience ; si bientôt elle s’épuise, c’est précisément parce qu’elle est infidèle à son origine, comme une plante qui voudrait vivre hors du sol qui l’a vue naître.

De son côté, la logique réelle, malgré ses efforts, ne peut s’en tenir aux seuls faits. On a vu comment Stuart Mill, à son corps défendant, fait intervenir la considération de l’universel, sinon comme facteur essentiel, du moins à titre de garantie. Introduit comme à la dérobée