Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
595
V. BROCHARD.. — la logique de j. stuart mill

On ne se préoccupait guère des rapports des idées avec la réalité parce que, à vrai dire, on les prenait pour la seule réalité, Chose significative et qui marque bien le changement qui s’est fait dans les esprits, ce qu’on nommait au moyen âge réalisme est précisément ce qu’on nomme aujourd’hui idéalisme, et peut-être, parmi les idéalistes les plus déterminés d’aujourd’hui, n’en trouverait-on pas un qui osât pousser aussi loin que les réalistes d’autrefois le dédain de la réalité sensible.

Il est vrai que la question de l’origine des idées n’appartient pas en propre à la logique : elle lui est extérieure ou antérieure ; c’est le droit strict du logicien d’envisager les concepts une fois formés, de quelque manière qu’ils se soient formés. Cependant, à y regarder de près, la logique n’est pas une science entièrement indépendante : il faut, pour qu’elle soit solidement établie, que la question de l’origine des idées soit résolue, au moins à titre de prolégomènes. En fait, tout logicien a une opinion sur cette question, fût-ce une pensée de derrière la tête, et de cette opinion dépend la conception qu’il se fait de la logique. Négliger cette question, prendre les idées toutes faites, telles qu’elles sont dans l’esprit, confondre celles qu’il construit entièrement à priori (s’il y en a de telles) et celles qui lui sont au moins suggérées par l’expérience, c’est se priver du moyen de distinguer sûrement celles qui sont bien formées de celles qui sont fausses ; les mettre toutes sur le même pied, sans se soucier de leur provenance, sans leur demander leurs titres, c’est-à-dire sans les confronter avec les faits, c’est s’enfermer dans un monde artificiel où l’esprit ne pourra que travailler à vide et se consumera en stériles efforts. C’est précisément parce qu’elle a coupé ses communications avec le monde réel et s’est confinée dans un orgueilleux isolement que l’ancienne logique a été convaincue d’impuissance et qu’elle est tombée dans un juste discrédit, La logique est bien libre de se constituer dans l’abstraction pure, et elle ne cesse pas pour cela, au point de vue formel, d’être rigoureuse ; mais elle est inutile, si elle n’a pas réglé ses concepts sur la réalité, et, comme une horloge sans balancier, elle joue follement.

À cette conception de la logique, Stuart Mill, se portant à l’extrême opposé, veut en substituer une toute différente : il remplace les idées par les faits et attribue aux choses, ou du moins aux sensations, le rôle dont on avait si longtemps investi les idées. Mais, on vient de le voir, il s’’embarrasse dans des difficultés inextricables et, sous prétexte de sauver la logique, la ruine.

Cependant, si ces deux manières de concevoir la logique sont radicalement insuffisantes, la logique existe, On ne peut dire que ce soit