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concrets. Ce n’est assurément pas la croyance qui, à elle seule, fait la vérité ou l’erreur d’une assertion : car on sait de reste que la croyance à tous ses degrés peut s’appliquer à l’erreur. La croyance ne fait pas la vérité ; elle n’a ou ne doit avoir d’autre ambition que de la constater. Si elle s’étend légitimement de la pensée abstraite à la pensée concrète, il faut qu’il y ait, indépendamment de toute croyance, entre les concepts et les phénomènes, certains liens, certains rapports constants. Différent des phénomènes qu’il représente (si la logique existe), le concept ne doit pas être étranger aux phénomènes, si la logique a une utilité pratique ; c’est un point sur lequel il faut s’expliquer.

On peut objecter sans doute que c’est là une question étrangère à l’objet propre de la logique et qui appartient plutôt à la métaphysique. Nous en convenons, et il résulte expressément de ce qui précède que la logique peut être constituée tout entière sans qu’elle soit résolue. Mais on conviendra du moins que le problème métaphysique intéresse très directement le logicien et mérite d’être examiné. En tout cas, il est indispensable de se prononcer si l’on veut juger la logique de Stuart Mill : car cette logique repose tout entière sur une solution de ce problème ; sa tendance manifeste est de rapprocher la logique de la réalité sensible et de montrer comment elle peut s’y appliquer.

La logique traditionnelle, telle que nous la trouvons dans le livre de Port-Royal, s’est à la vérité dispensée de examiner ; mais c’est peut-être là ce qui fait sa faiblesse et son insuffisance aux yeux des modernes.

Longtemps en effet la logique, dédaignant l’expérience, s’est constituée à l’aide des seules idées, sans se livrer à une enquête sérieuse sur leur nature et leur origine. Les idées venaient on ne sait d’où ; on les prenait toutes faites, telles qu’elles sont dans les esprits adultes ; on les considérait comme des possessions naturelles de l’esprit. Ainsi la Logique de Port-Royal dit bien quelques mots de l’origine des idées ; mais elle passe rapidement sur cette question, et si elle consent à faire une part aux sens, fidèle à l’esprit cartésien, elle insiste surtout sur les concepts que la pensée construit à priori. La théorie de la définition ne distingue guère les concepts mathématiques de ces idées générales dont l’origine sensible ne saurait être sérieusement contestée : le syllogisme mathématique, dont les prémisses sont à priori, n’est pas distingué du syllogisme empirique, dont les prémisses sont des propositions contingentes, Si l’on nous parle de définitions de choses, il faut bien entendre que ces choses sont des idées, les idées du triangle ou du carré par exemple. —