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V. BROCHARD.. — la logique de j. stuart mill

Il faut avouer surtout que, si tel est l’unique office qu’elle puisse remplir, elle ne mérite pas une heure de peine. Au fond, que demandons-nous à toute science ? Qu’elle nous fasse connaître la réalité, les choses telles qu’elles sont ; nos idées n’ont de prix à nos yeux que par les choses qu’elles représentent. On peut penser (si l’on entend par ce mot l’élaboration abstraite des concepts) pour penser ; cela s’est vu, et peut-être un peu trop souvent. Mais la pensée sérieuse et utile est celle qui mène à la croyance, et la croyance est cet acte de l’esprit qui sort de lui-même, pose les choses comme réelles et existant hors de lui telles qu’il se les représente. La pensée n’est qu’un moyen ; la croyance est une fin.

N’est-il donc pas possible, sans retirer à la logique le caractère abstrait que nous venons de lui reconnaître, et sans lequel elle n’est rien, de la rapprocher davantage de la réalité, de l’interpréter de façon à lui donner une portée pratique, de lui donner le rôle et la valeur d’une vraie science, c’est-à-dire de la faire servir en quelque façon à la connaissance du réel ?

En fait, la question est résolue depuis longtemps. À chaque instant nous appliquons la logique aux choses de la vie. Nous n’hésitons pas à croire, sur la foi d’un raisonnement juste, que les phénomènes se passeront dans un ordre déterminé. Dans toute science, dans toute méthode, sans excepter la méthode expérimentale, on fait une grande place à la logique. Quelles que soient les railleries dont on a poursuivi certains logiciens, personne n’oserait dire que la logique soit chose inutile. Le logicien lui-même n’oublie pas la réalité autant qu’on le pourrait croire. C’est bientôt fait d’affirmer qu’il n’a pas à se préoccuper de la vérité des prémisses qu’il emploie ; en fait, il s’en préoccupe. Il n’y a pas d’hommes qui ne soient que logiciens.

Pour expliquer le passage de la pensée abstraite à la pensée concrète, que l’habitude nous a rendu si familier, on peut dire fort simplement que, les prémisses étant posées comme vraies par un acte de croyance, qui échappe à la compétence comme à la juridiction du logicien, les conclusions légitimement tirées sont du même coup posées aussi comme vraies : la croyance se propage et s’étend des prémisses à la conclusion.

Cette solution pourrait paraître satisfaisante si les concepts qui figurent dans les prémisses étaient de même nature que les existences particulières, les phénomènes concrets sur lesquels porte ordinairement la conclusion. Mais, on l’a vu, il n’en est pas ainsi. Il reste donc à comprendre comment un acte de croyance, valable pour des concepts abstraits, est aussi valable pour des phénomènes