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LA LOGIQUE DE J. STUART MILL

Fin[1]

III

La logique est une science purement formelle. Elle ne sort pas du domaine de la pensée abstraite. Ayant affaire aux seuls concepts qui ne sont assurément pas des données de l’expérience, elle n’a pas de prise directe sur les phénomènes. Elle ne s’occupe, en dernière analyse, que de l’accord de la pensée avec elle-même : et les conclusions auxquelles elle conduit, si légitimement qu’elles soient obtenues, ne sont pas, directement et par elles-mêmes, valables pour la réalité. Si elles sont subjectivement nécessaires, elles n’ont de valeur objective que celle qu’elles empruntent aux prémisses d’où elles sont tirées, et ces prémisses, le logicien n’a pas à s’en préoccuper. Vraies ou fausses, il les traite de la même manière : elles ne sont pour lui que des hypothèses, et c’est par un acte qui ne relève pas de la logique qu’on les déclare vraies.

Par suite, la vérité logique est autre chose que la vérité réelle, en ce sens du moins qu’il ne suffit pas qu’une assertion soit logiquement irréprochable pour être conforme à la réalité. En d’autres termes, la logique (et c’est la condition de la rigueur de ses procédés) ne nous donne accès que dans un monde de possibles : elle ne ’pénètre pas dans le monde réel.

C’est ainsi que les anciens logiciens ont compris la logique, et c’est encore ainsi, malgré les efforts de Stuart Mill, qu’il faut la comprendre.

Toutefois, si c’est le droit strict de cette science de s’enfermer dans l’abstraction et d’oublier le réel, il faut convenir qu’elle a souvent abusé de ce droit. À force de n’avoir affaire qu’aux concepts, bien des logiciens se sont mis en opposition avec les choses, et les concepts n’allant guère sans les mots, à force d’être un jeu de concepts, la logique a souvent paru n’être plus qu’un jeu de mots.

  1. Voir le numéro précédent.