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c’est de là que lui vient son nom — la formule jusqu’à ce qu’elle arrive à fournir ce minimum. Puis on remonte alors, plus ou moins facilement, aux équations de la figure cherchée. Si mes souvenirs sont exacts, cette forme est celle d’un œuf. Et tenez, le problème de l’œuf, c’est-à-dire la recherche de la forme que doit revêtir un corps pour traverser avec le moins de résistance possible un anneau élastique, serait encore une question du ressort du même calcul.

Je reviens au livre de M. Edgeworth.

Le problème, tel qu’il a été posé entre Pierre et Paul, tout simple qu’il est, est déjà assez compliqué, car il faut faire entrer en ligne de compte la part d’utilité ou de plaisir que chacun est disposé à sacrifier à l’autre. Mais on peut le compliquer davantage d’abord en augmentant le nombre des contractants, ensuite en laissant ce nombre indéterminé. Il faut énormément de délicatesse et de finesse pour combiner tous les éléments principaux d’un pareil problème, et, comme je l’ai dit, je confesse sur ces divers points mon incompétence. D’ailleurs le lecteur ne saurait être satisfait par un jugement forcément dogmatique. Qu’il sache seulement que M. Edgeworth n’est pas le seul à traiter la science économique par le calcul, et pour ne citer qu’un nom, M. Jevons l’a précédé dans cette voie.

Si les problèmes économiques sont ardus, les problèmes utilitaires le sont bien plus encore. Le maximum de bonheur universel dépend de trois quantités : l’intensité du bonheur, la durée, et le nombre de ceux qui y participent. Dans les problèmes de la première espèce, il ne pouvait être question que d’un sacrifice réciproque d’une portion de plaisir. Dans ceux de la seconde catégorie, il peut être question de sacrifier toute la part de bonheur d’un certain nombre d’individus, en vertu de la maxime que l’utilité du plus grand nombre doit primer l’utilité du plus petit nombre.

Et puis il faut encore tenir compte de l’aptitude au bonheur, et, par conséquent comparer entre elles hypothétiquement les capacités pour la jouissance. Ainsi la religion catholique impose, à certains jours de l’année, la privation de viande. Que signifie cette privation pour ceux qui aiment le poisson[1] ? Voilà donc une nouvelle donnée dont le rôle est d’une extrême importance ; et c’en est assez pour laisser entrevoir à combien de difficultés vient se heurter la nouvelle science.

Il est impossible de donner ici un aperçu même sommaire de cette partie de l’ouvrage, toute hérissée d’axiomes, de définitions et d’intégrales. Je voudrais seulement faire comprendre d’un mot aux profanes que certaines questions, traitées mathématiquement, prennent un carac-

  1. Dans mon travail sur le Daltonisme (Revue scientifique 1878), j’ai montré pour la première fois comment on pouvait arriver à comparer expérimentalement les sensations de deux individus. Depuis la publication de ce travail, on a découvert une personne qui n’était daltonienne que d’un œil. Je ne sais si l’on a songé à vérifier sur elle la théorie que M. Spring et moi avons émise.