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ANALYSES. — Dr. JACOBY. Études sur la sélection.

nous a habitués à voir dans la sélection naturelle (à part quelques rares cas de régression) l’instrument le plus énergique du progrès, comme sélection veut dire choix et comme une sélection toujours croissante veut dire un choix dans le choix, on en est venu à considérer comme une chose toute naturelle la production d’hommes de plus en plus parfaits ; l’hérédité se chargeant à chaque génération de conserver, de fixer les résultats acquis. Ainsi raisonne la logique à priori ; mais, dans l’ordre des faits, il n’en va pas de même. C’est ce que le livre entier de M. Jacoby est consacré à prouver.

Il a choisi deux formes de sélection qu’il est facile d’étudier dans ses rapports avec l’hérédité : « la sélection par position sociale exclusive et la sélection par intelligence et par talent. »

Dans la première partie, intitulée Le pouvoir, l’auteur étudie la destinée des familles souveraines, Comme, à l’origine, une dynastie n’a pu se fonder, s’imposer et se maintenir sans une supériorité quelconque, il est clair que nous avons là un cas de sélection combinée avec l’hérédité.

La première étude — elle ne tient pas moins de la moitié du livre, 311 pages — est consacrée aux premiers Césars, Octave et ses descendants jusqu’à Néron. Cette « dynastie », sur laquelle les historiens anciens, particulièrement Suétone, ont laissé de si importants documents est l’un des meilleurs exemples que l’auteur pût donner à l’appui de sa thèse ; car il montre comment une race intelligente, belle, richement douée par la nature, s’éteint rapidement après avoir passé par l’imbécillité, l’épilepsie, les névropathies, l’ivgrognerie, et les débauches et les crimes de toute espèce. M. Wiedemeister, dans son étude médico-psychologique sur la Folie des Césars[1], est arrivé à des conclusions analogues et nous avons été surpris que M. Jacoby paraisse ignorer l’existence de cet ouvrage.

Il a poursuivi le même travail, sous une forme beaucoup plus brève, pour les familles royales ou princières qui suivent : Italie (Savoie Sardaigne, Médicis, les deux maisons d’Anjou) ; — Espagne (maison d’Autriche, Bourbons d’Espagne — Portugal (maison de Bourgogne) ; — France (Valois, Bourbons, Bourbons-Orléans, Condé, Conti) ; — Angleterre (Plantagenets, Lancastre, York, Tudors, Stuarts). Il aboutit à la même conclusion.

Mais la dynastie n’est pas nécessairement souveraine ; elle peut être industrielle, commerciale, intellectuelle, nobiliaire, « Toujours elle obéit à la même loi de dégénérescence. » C’est à la démonstration de cette thèse qu’est consacrée la deuxième partie, intitulée Le talent.

D’abord pour les aristocraties ; on sait qu’elles sont constamment en voie de dégénérescence. L’extinction graduelle des Spartiates et des patriciens romains, de l’aristocratie vénitienne, des lords anglais (les

  1. Der Cæsarenwahsinn der Julisch-Claudischen Imperatorenfamilie geschildert an den Kaisern Tiberius, Caligula, Claudius, Nero. In-8o. Hannover, 1875, XI, 306 pages.