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moi ce qui me procure toujours une même sensation chaque fois que ma volonté est la même[1].

Tout ceci n’a pas besoin d’être expliqué davantage, Une seule chose nous incombe encore : c’est de scruter la signification de ces mots en sachant qu’on se meut. Comment peut-on savoir qu’on se meut, c’est-à-dire — car le verbe pronominal peut donner lieu à une équivoque — qu’on se met soi-même en mouvement ? Pour cela, il faut de toute nécessité qu’on soit averti par une certaine sensation que l’on se met en mouvement, et par une autre sensation que l’on est en mouvement ; en deux mots, il faut qu’on sente et l’effort et l’effet. Il n’y a pas à sortir de là. Avoir conscience de son effort, et non du mouvement effectué, ou sentir ce mouvement, mais sans avoir eu le sentiment de l’effort, sont deux états incomplets qui ne nous mettent pas en communication avec le monde externe et qui ne peuvent nous fournir aucun indice de son existence.

La connaissance du mouvement, en tant qu’effectué, nous vient à la suite de certaines sensations afférentes, c’est l’opinion de M. James, et je la partage. Mais que les unes soient directes et, à proprement parler, musculaires, et les autres indirectes, en tant qu’elles affectent les organes de l’odorat, de l’ouïe, de la vue, etc., sur ce dernier point je n’adopte pas son avis, Certes tout déplacement affecte la sensibilité tactile, mais n’affecte pas nécessairement nos autres sens. D’où cela provient-il ? De ce que la sensibilité tactile est répartie sur tout le corps, tandis que les sensibilités visuelle, auditive, gustative, olfactive sont localisées. La distinction entre sensations directes et sensations indirectes repose donc sur un Caractère tout accidentel. Si nous étions tout œil comme nous sommes tout tact, nous verrions tous nos mouvements.

Partant de là, M. James soutient que le sens musculaire nous fait proprement connaître la dureté et la pression, et que ces qualités sont subjectives au même titre que les couleurs et les odeurs. Ici encore, je ne suis de son avis qu’en partie. Il me paraît tomber dans une confusion que l’on fait assez communément entre le sens du toucher et la motilité, ou, si je puis ainsi dire, le sens du mouvement. C’est le sens du toucher qui est le sens de la pression ; et ce sens est fondamental, car toute cause physique peut se ramener à une pression, Aussi ne conçoit-on pas qu’il puisse exister des êtres qui n’en seraient pas doués, Ces êtres devraient pouvoir être écrasés sans qu’ils s’en aperçussent[2]. À cet égard, on peut certainement dire que la dureté est une qualité subjective, comme la couleur ; mais, suivant un autre ordre de considérations, on voit immédiatement que la sensibilité ne peut exister sans le toucher, tandis qu’elle peut se passer de la vue, de l’ouïe et en général de tous les autres sens. On peut même dire que les sens sont tous issus du toucher et n’en sont que des modifications, C’est ce que

  1. Voir Théorie de la sensibilité, p. 100.
  2. Voir, pour plus de détails sur ce point et le suivant, ma Théorie de la sensibilité, p. 83 et suivantes.