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par l’effort moral. Si les mouvements moléculaires introduits par la volonté étaient perpendiculaires aux mouvements primitifs, ceux-ci n’offriraient aucune résistance, et la volition serait dépourvue d’effort. Mais volition implique effort, et, puisque, d’après la théorie du sens de la force musculaire volontaire, cet effort est une force intérieure qui doit surmonter une force réelle extérieure, puisque, dans le fait, sans cet antagonisme, nous n’aurions point du tout la notion d’une force extérieure, par conséquent, l’effort, s’il est libre, doit être une contribution absolument nouvelle et une création dans la mesure où la somme de l’énergie cosmique est intéressée. Alors (si l’on continue à maintenir la théorie de la force musculaire volontaire) la seule alternative est, ou bien avec John Herschell[1], d’avouer franchement que la force peut être créée à nouveau, et que « conservation » n’est qu’une loi approximative, ou bien d’abandonner l’idée d’une volonté libre en faveur de celle de la conservation, et de supposer que le moi, dans le vouloir, a, au milieu du grand courant de force universel, une simple connaissance consciente de certains courants avec lesquels il est dans sa destinée mystérieuse de s’identifier.

» À mon sens, de pareilles discussions reposent sur une anthropomorphisation de la force externe, chose absurde au suprême degré[2]. »

L’effort moral n’est pas transitif entre le monde interne et le monde externe, il n’appartient qu’au monde interne. Son point d’application est une idée, et sa fin est cette même idée devenue « réalité pour l’esprit ». Que, l’idée une fois réalisée de cette façon, les filets nerveux correspondants se trouvent modifiés, et que des muscles se contractent, c’est là une de ces harmonies entre le monde interne et le monde externe devant lesquelles la raison ne peut qu’avouer son ignorance. Permis à notre raison d’essayer d’interpréter cette relation comme dynamique, mais certainement nous n’avons pas conscience de ce dynamisme. La seule résistance que la force de la conscience sente ou puisse sentir est la résistance que l’idée oppose à être consentie comme réelle.

J’ai plutôt traduit que résumé tout ce passage, parce que, me proposant de le soumettre à une critique quelque peu approfondie, je désirais que le lecteur l’eût sous les yeux dans son entier.

Deux problèmes capitaux y sont soulevés : La liberté intéresse-t-elle le principe de la conservation de l’énergie ? Le sens musculaire, en nous révélant la force, nous donne-t-il une notion subjective ? De ces deux problèmes, l’auteur ne résout pas l’un, et il donne à l’autre une solution négative. Je reprendrai le premier, comme je l’ai dit, dans un prochain article. Aujourd’hui, je vais m’occuper du second.

  1. Familiar Lectures, p. 468.
  2. J’ai reproduit ces paragraphes dans leur intégrité, parce qu’ils sont importants et pleins de difficultés, et parce qu’ils ont été omis, je ne sais pourquoi, dans la traduction que la Critique philosophique a donnée du mémoire de M. James.