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J. DELBŒUF. — le sentiment de l’effort

nature de toutes ses qualités anthropomophiques, il n’y en a pas dont nous devions nous débarrasser plus vite que de sa « force ».

» Combien illusoires deviennent nos notions spontanées de force, lorsque nous les projetons dans le monde externe, c’est ce qui se montre avec évidence quand nous réfléchissons au phénomène de la contraction musculaire. En termes dynamiques et purement objectifs (c’est-à-dire termes de position et de mouvement), c’est dans l’état de repos du muscle que se trouve la force, la tension. C’est, au contraire, dans l’acte de contraction que la tension se transforme et disparaît. Notre sensation nous dit l’inverse, ce qui prouve le peu de compétence qu’elle à en cette matière.

» Le sujet offre un intérêt connexe avec la controverse sur la volonté libre. C’est un principe admis en mécanique que le mouvement résultant d’un système de corps reliés entre eux par des relations définies d’énergie peut varier suivant des changements dans leur disposition, apportés par des forces dirigées normalement à leurs trajectoires primitives, lesquels changements ne troubleront pas la conservation de l’énergie du système, lorsqu’ils n’exercent sur lui aucun travail. Dans le désir de mettre d’accord la volonté libre avec la conservation de l’énergie, certaines personnes se sont servies de cette conception pour représenter les relations dynamiques de la volonté avec le cerveau : l’effort mental déterminerait simplement l’instant et le lieu où doit partir une certaine force vive moléculaire, par une sorte de pression normale qui jouerait le rôle d’une variable indépendante dans l’intégration des équations du mouvement requises par les principes de la conservation. La volonté libre pourra ainsi être regardée comme n’augmentant ni ne diminuant l’énergie interne du système[1].

» Or, tant que l’effort mental en général était supposé avoir un rapport particulier avec l’effort musculaire, et tant que l’effort musculaire était supposé nous révéler derrière la résistance des corps une force qu’ils contenaient, il était facile de répondre à cette manière de voir. Votre volonté, pouvait-on dire, accomplit un « travail » sur le système, « Travail » se définit en mécanique mouvement exécuté contre une résistance, et votre volonté rencontre une résistance qu’elle doit surmonter

  1. « lt is an admitted mechanical principle that the resultant movement of a system of bodies linked together in definite relations of energy, may vary according lo changes in their collocation, brought about by moving them at right angles to their preexisting movements ; wich changes will not interfere with the conservation of the system’s energy, as they perform no work upon it (le mot no est ajouté à la plume sur l’exemplaire qui m’a été adressé par l’auteur). Certain persons desiring to harmonize free will with the theory of conservation, have used this conception to symbolize the dynamic relations of will with brain, by saying that the mental effort merelÿ determines the moment and the spot at which a certain molecular vis viva shall start, by à sort of rectangular pressure which plays the part of an independent variable in the equations of movement required by the principles of conservation. Thus free will may be concewed without any of the internal energy of the system being either augmented or destroyed. »