Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
518
revue philosophique

sort la croyance raisonnée, la conviction réfléchie. Mais ici surgit un grave problème : Est-ce l’esprit qui, par un effort propre, donne la victoire à telle idée, ou bien la victoire, et par suite la conviction, sont elles dues à la force prépondérante de cette idée ?

Cette dernière thèse — la thèse déterministe — a été soutenue par de puissantes écoles. Mais c’est un fait qu’à côté d’elle la thèse opposée continue à subsister ; et, de plus, en vertu même du principe du déterminisme, ce fait a sa raison d’être. Il suit de là que, tout au moins, l’une et l’autre sont de simples possibilités, de pures hypothèses, et que, si la première apparaît à certains penseurs avec un tel caractère de vivacité qu’ils y voient l’expression de la vérité, il n’est pourtant pas impossible de donner à la seconde une vivacité égale.

Un corps soumis à l’action de forces diverses suit la ligne dite de moindre résistance : la balance penche du côté du poids le plus fort. En est-il de même de l’esprit ? quand il est sollicité par plusieurs idées, suit-il la ligne de moindre résistance ? Cependant, dans tous les cas difficiles, soit de croyance, soit de volonté, — j’insiste de nouveau sur l’alliance de ces deux termes, je vais y revenir — l’esprit a l’air de savoir pertinemment quelle est la ligne de moindre résistance, même lorsqu’il ne la choisit pas. Le paresseux, le buveur, le poltron ne s’avisent jamais de dire qu’il leur en coûte de s’abandonner à la fainéantise, à l’ivrognerie, à la peur, ou qu’ils maîtrisent leur activité, surmontent leur sobriété, refrènent leur courage. Non, l’effort se porte toujours du côté des motifs moraux et jamais du côté des motifs sensuels, C’est sur ceux-ci qu’on parle de victoire remportée. Celui qui se livre à ses passions ou à ses instincts suit la ligne de moindre résistance, Il semble que la force de la sensibilité soit une quantité fixe qui ne peut être annulée que si une certaine quantité d’effort volontaire, non déterminée d’avance, vient s’ajouter à la force morale et antagoniste. Sans doute, les adversaires du libre arbitre, partisans convaincus de la mécanique des idées, peuvent, en tout état de cause, se tirer d’affaire et soutenir que la ligne de moindre résistance est précisément celle que l’on suit ; mais il leur reste alors à expliquer pourquoi la conscience nous tient un langage différent et porte sur l’acte à venir un jugement à priori. Quand Régulus retourne à Carthage, il sait qu’il accomplit un devoir difficile, et ceux qui restent partagent le même sentiment. Quand Galilée renie ses convictions, il sait qu’il commet une lâcheté, et, sans oser l’en blâmer, la postérité ne juge pas autrement.

Sommes-nous, en ceci, victimes d’une illusion ? C’est possible. On peut tenir le problème en suspens. On peut aussi, bravant le risque de l’erreur, adopter l’une ou l’autre solution positive, se prononcer pour le déterminisme ou pour le libre arbitre. M. James opine pour la liberté, et il adresse aux lecteurs un souhait plein d’humour : c’est de ne pas éprouver moins de satisfaction, s’ils se rangent du parti opposé.

Avant de terminer l’analyse de l’étude remarquable du savant professeur, examinons d’un peu près l’assimilation qu’il prétend établir