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J. DELBŒUF. — le sentiment de l’effort

lisation de l’idée motrice est empêchée et où doit intervenir le fiat l’effort volitionnel.

Le fiat ne se prononce qu’après un moment d’hésitation. L’hésitation provient de ce que notre esprit est sous la double influence de la représentation de deux mouvements. S’ils sont tous deux agréables, notre hésitation est de courte durée, parce que, dans ce cas, il vaut mieux agir qu’attendre. Soyons-en assurés, l’âne de Buridan n’est mort ni de faim ni de soif. La plupart du temps, dans chacune des deux idées en conflit, il y a un mélange de bien et de mal. Il nous faut donc vouloir une chose qui a des aspects déplaisants, et c’est alors que l’acte de volition est accompagné du sentiment de l’effort.

C’est à cet effort qu’est due la décision, c’est-à-dire le triomphe d’une idée, quoi qu’elle puisse avoir de désagréable, et la défaite d’une autre idée, quoi qu’elle puisse avoir d’attrayant.

À cet égard, le consentement volitionnel est un acte appartenant à la même catégorie que le consentement logique, c’est-à-dire que l’adhésion de l’esprit à une idée (affirmation) et son éloignement d’une autre idée (négation). Vouloir, c’est énoncer mentalement qu’une idée doit devenir réalité, c’est s’attacher à une idée comme à une réalité. À l’appui de sa définition, M. James cite le trait suivant : Un homme ruiné par des revers de fortune perd la raison, Dans sa folie, il s’imagine être immensément riche. Toutes les infortunes trouvent en lui un aide compatissant qui sait prodiguer l’or pour les soulager. Cependant, dans une conversation avec un de ses vieux amis, il se montre parfaitement conscient de sa position réelle ; mais il en résulte pour lui une conviction si pénible, si insupportable qu’il ne veut pas consentir à y croire.

La décision a-t-elle pour objet un mouvement musculaire, l’effort, s’il est requis, a pour unique effet de nous faire accepter les conséquences désagréables qu’entrainera la réalisation de l’idée victorieuse ; et, avant que le consentement soit obtenu, nous ne cherchons pas à exécuter le mouvement. Maintenant, que nous puissions où ne puissions pas l’exécuter, c’est là un point secondaire. L’acte capital, c’est l’effort volitionnel. Rien de si simple que de sortir du lit ; rien parfois de si difficile que de le vouloir. Rester quelques instants immobile ne demande aucune dépense de force ; mais ne pas bouger au moment où l’on va être fusillé, c’est ce dont bien peu sont capables.

L’esprit vit et se meut dans le monde des idées et non dans le monde réel. Si la force externe a réalisé l’idée à laquelle sa croyance est attachée, il possède la vérité ; sinon il est dans l’erreur. Si l’esprit conçoit l’idée comme réalisable par la force corporelle, cette idée est l’objet d’un acte de volition. Il n’y a donc pas de différence intrinsèque entre la volition et la croyance. Au début de la vie intellectuelle, l’idée entraine à la fois croyance et action. Le doute et l’indécision résultent de la lutte des idées entre elles. Là où il n’y a pas de lutte, chez les hypnotisés, par exemple, l’illusion est complète. C’est du conflit que