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que instant ; le regard, qui ne peut considérer qu’un, seul point à la fois, a beau se multiplier dans tous les sens, il n’apporte à l’esprit que des matériaux incomplets. On connaît les photographies instantanées prises par M. Muybridge, de San Francisco, sur des chevaux de course au galop ; certaines d’entre elles ont produit l’effet d’une sorte de révélation. Jamais on n’avait vu des attitudes pareilles, et le peintre qui se serait risqué à les reproduire sur ses tableaux aurait été taxé de mensonge et de folie.

Ajoutons enfin que, dans le mouvement de la pantomime toute seule, l’œil ne rencontre rien qui ressemble à un système de repère quelconque ; les éléments nécessaires pour mesurer la vitesse, autrement que par une approximation grossière, lui font presque complètement défaut.

Si le geste est associé à la parole, le mouvement des idées, le rythme des mots et des phrases, viennent faciliter la mensuration ; la musique, avec sa métrique raffinée, est bien plus favorable encore. Quant à la danse, qui est à la pantomime ce que la poésie est à la prose, elle ne se conçoit même pas sans le concours d’un rythme quelconque sensible à l’oreille.

Musicalement, l’association des deux arts, le ballet, est extrêmement féconde, et il est singulier que les compositeurs n’en tirent pas un plus grand parti. Le fait s’explique cependant de plusieurs manières :

D’abord, puisqu’on sort des régions un peu abstraites de la musique instrumentale, le spectateur-auditeur veut savoir ce dont il s’agit. Il est extrêmement difficile de lui en donner une idée exacte, le geste n’étant guère plus précis à cet égard que le son. En dehors de certains mouvements dont la signification conventionnelle est admise pour représenter l’amour, la crainte, l’action de donner ou de recevoir de l’argent, etc., la mimique n’a aucun moyen d’exprimer des idées, de définir des sentiments avec précision. Néanmoins, dans certains ballets, dans Giselle par exemple, d’habiles artistes ont pu s’élever jusqu’à des effets vraiment dramatiques.

Ensuite, le domaine de la danse s’est peu à peu restreinte à la représentation presque exclusive de scènes voluptueuses et sensuelles, dont le charme sui generis est incompatible avec des émotions esthétiques d’un caractère plus élevé. Autrefois, il n’en était pas ainsi ; la danse pouvait être noble, majestueuse, religieuse même ; c’est que, la plupart du temps, elle représentait des scènes de la vie guerrière ou pastorale, des cérémonies du culte. La pyrrhique des anciens était considérée par eux comme une excellente préparation au métier de soldat ; cette danse n’était autre chose, en effet, que la