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J. DELBŒUF. — le sentiment de l’effort

ment d’une grande force déployée, bien qu’ils ne puissent plus éprouver de sensation afférente.

Cette argumentation est vicieuse ; c’est ce que le docteur Ferrier a péremptoirement démontré[1]. Sans doute le patient ne parvient pas à mouvoir le membre malade, bien qu’il se livre visiblement à de grands efforts. Mais ceux-ci ont leur siège autre part. C’est ainsi qu’on le verra fermer avec force, au lieu du poing paralysé, celui qui est resté sain. Il faut en outre, dans ce cas et d’autres analogues, faire entrer en ligne de compte la fixation des muscles respiratoires, facteur important, « qui est la base du sentiment général de l’effort dans tous ses divers degrés. »

L’examen général du corps nous conduit ainsi à nier l’existence du sentiment de l’innervation, Mais on croit avoir trouvé pour lui une retraite inexpugnable dans les muscles de l’œil.

Nous jugeons qu’un objet se meut quand, l’œil étant censé immobile, l’image de l’objet se déplace sur la rétine, et quand, cette image étant immobile, nous sentons ou croyons sentir que l’œil est en mouvement.

Or, « quand le muscle droit externe de l’œil droit, ou son nerf, est paralysé, écrit Helmholtz, l’œil ne peut plus se tourner du côté droit. Tant qu’on ne fait que le tourner du côté du nez, les mouvements de l’œil sont réguliers, et la position des objets est perçue correctement dans le champ visuel. Mais, aussitôt qu’on essaye de le tourner du côté externe, c’est-à-dire du côté droit, l’œil cesse d’obéir à la volonté, s’arrête immobile au milieu de sa course, et les objets paraissent fuir à droite, quoique la position de l’œil et de l’image rétinienne ne soit pas changée, » Ici donc, on attribue à l’objet le mouvement qu’on croit, à tort, sentir dans son œil. Ce fait n’est-il pas tout en faveur de la théorie du sentiment de l’innervation ?

Nullement, répond M. James. Il ne faut pas perdre de vue que pour faire ces sortes d’expériences on couvre l’œil sain (ici l’œil gauche), dans le but d’éviter la formation des images doubles qui troubleraient encore plus le jugement ; et c’est précisément dans les mouvements de cet œil couvert que le sentiment de la force dépensée a son origine. Car les deux yeux ne forment en réalité qu’un appareil unique mû par un acte commun d’innervation.

M. James s’étend longuement sur cette partie de son sujet et réfute point par point et, ce me semble, victorieusement, toute l’argumentation qu’on a voulu fonder sur les illusions optiques.

Voilà donc un résultat acquis. La sensation de l’action musculaire est afférente et n’a rien à voir avec le sentiment de l’effort.

Qu’est-ce donc que l’effort volitionnel ? Quelle est la nature du fiat que nous prononçons mentalement quand nous prenons une décision ?

Ce fiat est souvent ce qui nous demande le plus d’effort. Un de mes amis, chirurgien illustre et grand fumeur, est convaincu que le tabac

  1. Functions of the Brain (Ed. anglaise, p. 222-4).