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du peuple dans une telle misère qu’à la suite de mauvaises récoltes sans doute, on vit des « centaines de gens se nourrir d’orties et d’autres herbes ». À côté de ces attentats de premier ordre de l’État contre les individus, il y en avait beaucoup d’autres de second ordre. Des agents irresponsables du pouvoir exécutif avaient le droit de supprimer les réunions publiques et d’arrêter les meneurs : les citoyens qui ne se disposeraient pas sur l’ordre qui en était donné étaient passibles de la peine de mort. On ne pouvait ouvrir des librairies ni des cabinets de lecture sans permission ; on punit même l’acte de prêter des livres sans permission. On « fit d’énergiques efforts pour réduire la presse au silence » ; les libraires n’osaient pas publier les ouvrages d’auteurs mal vus du pouvoir. On salariait des espions, on subornait des témoins, et, comme la loi de l’Habeas corpus était constamment suspendue, la couronne avait le pouvoir d’emprisonner sans ouvrir une « instruction et pour le temps qu’elle voulait ». En même temps que le gouvernement imposait, contraignait et entravait ainsi les citoyens, il ne les protégeait pas d’une manière efficace. Il est vrai qu’on ajoutait au code pénal de nouveaux délits et des peines plus sévères : on étendait la définition de la haute trahison, et beaucoup de crimes furent punis de mort qui ne l’étaient pas auparavant. « Il y eut une liste énorme de transgressions pour lesquelles des hommes et des femmes furent condamnés à mort, » On traita « la vie humaine avec un sans-façon diabolique ». En même temps, la sécurité, loin de s’accroître, diminuait. « On peut voir, dit M. Pike dans son Histoire du crime, que plus l’effort de la lutte est grand, plus grandit le danger d’une réaction qui porte l’homme à la violence et à s’affranchir des lois. » Voyez maintenant l’autre tableau. Une fois sorti de la prostration que les guerres prolongées avaient laissée, quand les perturbations sociales causées par l’appauvrissement se furent effacées, on vit revivre les caractères propres au type industriel. La contrainte des citoyens par l’Etat décrut de diverses manières. L’enrôlement volontaire prit la place du service militaire obligatoire ; on fit disparaître des entraves de moindre importance, qui pesaient sur la liberté individuelle par exemple ; on abolit les lois qui défendaient aux ouvriers de voyager à leur gré et qui prohibaient les associations ouvrières. À cet accroissement du respect pour la liberté de l’individu, s’ajouta l’amélioration du code pénal : on abolit d’abord la peine du fouet pour les femmes, qui la subissaient jusque-là en public ; on réduisit beaucoup la liste des crimes punis pour la peine capitale, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus qu’un ; on finit par supprimer la peine du pilori et la prison pour dettes. Les pénalités