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HERBERT SPENCER. — la société industrielle

Communes, un autre progrès s’était opéré dans le sens de l’organisation concomitante du système social, Encore que l’assujettissement de l’individu à l’État fût beaucoup plus grand qu’aujourd’hui, il n’allait pas si loin qu’en France. Les droits privés n’étaient pas sacrifiés de cette façon dépourvue de scrupule ; on n’y était pas menacé par des lettres de cachet. Si la justice était imparfaitement administrée, elle ne l’était pas aussi misérablement : il y avait une sécurité réelle pour les personnes, et l’autorité resserrait dans d’étroites limites les attentats contre les propriétés. L’incapacité politique qui frappait les protestants dissidents fut atténuée au commencement du siècle, et plus tard celle des catholiques. La presse possédait une grande liberté, qui se montrait dans la discussion des questions politiques, aussi bien que dans la publication des débats parlementaires ; à la même époque, on put parler librement dans les réunions publiques. En même temps que l’État attaquait moins l’individu et le protégeait davantage, il se mêlait moins de ses affaires quotidiennes. Encore que la réglementation du commerce et de l’industrie fût considérable, elle n’allait pas à cette extrémité où elle assujettissait en France les agriculteurs, les manufacturiers, les négociants, à une armée de fonctionnaires qui agissaient au gré de leurs caprices. Bref, la différence entre notre état et celui de la France était de nature à exciter la surprise et l’admiration des écrivains français de l’époque, auxquels Buckle a emprunté les passages qui nous apprennent ce que nous venons de dire.

Mais ce qu’il y a de plus instructif, ce sont les changements, tant rétrogrades que progressifs, survenus en Angleterre, même durant la période de guerres qui s’étend de 1775 à 1815 et durant la période de paix qui a suivi. À la fin du dernier siècle et, au commencement de celui-ci, le recul vers le système qui fait de l’individu la propriété de la société avait fait du chemin. « Pour les hommes d’État, l’État, pris comme une unité, était tout dans tout ; il était difficile de trouver un fait qui autorisât à penser que le peuple était compté pour quelque chose, excepté pour en exiger l’obéissance… Le gouvernement considérait le peuple à peu près comme une masse bonne à rendre des impôts et des soldats. » Si la partie militaire de la société s’était grandement développée, la partie industrielle s’était rapprochée de l’état d’une manutention d’intendance militaire permanente. La conscription et la presse donnaient un exemple du point relativement avancé où allait le sacrifice de la vie et de la liberté des citoyens en conséquence de la guerre ; un système impitoyable de taxes empiétait sur les droits de la propriété, écrasait la classe moyenne, dont elle rendait la vie plus coûteuse, et plongeait la masse