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HERBERT SPENCER. — la société industrielle

pas ou ne sont qu’ébauchées, la relation d’état légal manque, toutes les transactions entre individus se font d’après accord, et la fonction que le corps gouvernant doit accomplir se borne essentiellement à la protection de la vie privée par le règlement des différends qui surgissent, et l’application de peines légères pour les délits peu graves qui se commettent.

Si nous passons aux sociétés civilisées pour y chercher les caractères des sociétés industrielles, nous rencontrons des difficultés. Elles doivent toutes leur consolidation et leur organisation aux guerres qui ont rempli les premières périodes de leur existence et qui la plupart se sont continuées relativement jusqu’à une époque récente ; en même temps, elles ont créé dans elles-mêmes des appareils pour la production et la distribution des objets de consommation, appareils qui font peu à peu contraste avec les appareils propres aux fonctions militaires, en sorte que les deux ordres d’appareils s’offrent à nous tellement mêlés qu’il n’est guère possible de séparer les premiers des derniers, ainsi que nous l’avons dit au début. Toutefois, malgré l’opposition radicale qui distingue la coopération obligatoire, principe organisateur du type militaire, d’avec la coopération volontaire, principe organisateur du type industriel, il est possible de conclure des faits où l’on voit le déclin des institutions militaires à un développement des institutions par lesquelles se révèle le type industriel. Par suite, si, en passant des premiers états des nations civilisées, pour qui la guerre est l’affaire de la vie, aux états dans lesquels les hostilités ne sont qu’accidentelles, nous passons en même temps aux états dans lesquels la possession de l’individu par la société dont il est membre n’est pas aussi constante ni aussi absolue, dans lesquels la subordination hiérarchique est affaiblie, dans lesquels la règle politique n’est plus autocratique, dans lesquels la réglementation de la vie des citoyens perd de son étendue et de sa rigueur, en même temps qu’ils sont plus protégés ; nous apercevons implicitement les caractères d’un type industriel en voie de développement. En comparant divers peuples, nous découvrons des résultats qui concordent pour vérifier cette conclusion.

Prenons d’abord l’opposition qui sépare la condition primitive des nations civilisées d’Europe en général de leur condition actuelle. A partir de la dissolution de l’empire romain, nous observons que pendant plusieurs siècles, durant lesquels les guerres furent l’instrument de la consolidation, de la dissolution et de la reconsolidation à l’infini des États, toutes les forces qui ne se consacraient pas directement à la guerre, ne se consacraient guère à autre chose qu’à entretenir les appareils qui la soutenaient : la partie travail-