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trielle comme des patriarches, qui ne possèdent guère qu’une autorité nominale. » Le lieutenant Mac-Mahon dit qu’ils « n’ont ni lois ni autorité reconnue. » Autre exemple : les « séduisants » Lepchas, qui ne sont pas industrieux, mais qui sont pourtant industriels en ce sens que leurs rapports sociaux n’ont rien de ceux du type militaire. Bien que je ne trouve rien de saillant sur le régime en vigueur dans les villages qu’ils habitent pour un temps, ce qu’on nous raconte à leur sujet donne à penser que ce régime n’a rien de coercitif. Ils n’ont pas de caste, « les guerres de famille et les guerres politiques sont inconnues chez eux ; » ils ont la vie de soldat en horreur, ils aiment mieux fuir dans les jungles et vivre d’une nourriture sauvage que de « subir l’injustice ou les mauvais traitement…, » tous caractères qui sont incompatibles avec l’autorité politique ordinaire. Ajoutez encore l’exemple des Santals, « tranquilles et inoffensifs, » absolument inoffensifs, bien qu’on les voie combattre avec une bravoure aveugle lorsqu’ils sont attaqués. Ces gens « sont des cultivateurs industrieux et passent leur vie affranchis des liens des castes. » Quoiqu’ils soient devenus tributaires, et que dans chaque village il y ait un chef nommé par le gouvernement indien pour répondre du tribut, la nature de leur gouvernement indigène ne laisse pas d’être assez claire ; encore qu’il y ait un patriarche qu’on honore, mais qui fait rarement acte d’intervention, « chaque village a son lieu d’assemblée… où le conseil se réunit pour traiter les affaires du village et de ses habitants. C’est là qu’on règle tous les petits débats, civils et criminels. » Le peu que nous savons des tribus qui vivent dans les monts Chervaroys vient à l’appui de nos idées. D’après Shortt, ce « sont des gens essentiellement timides et inoffensifs, adonnés principalement à des occupations pastorales et agricoles. »À propos d’une section de ces tribus, il ajoute « qu’ils vivent paisiblement entre eux, que leurs disputes sont d’ordinaire tranchées par arbitrage. » Ensuite, pour montrer que ces caractères sociaux ne sont pas particuliers à une variété de l’espèce humaine, mais qu’ils sont l’effet des conditions où l’homme vit, nous pouvons rappeler l’exemple déjà cité des Papous Alfarous, qui, sans connaître aucune division de rangs, ni chefs héréditaires, mènent une vie de concorde, régie seulement par les décisions de leurs anciens assemblés. Dans tous ces exemples, nous pouvons reconnaître les principaux traits indiqués plus haut, qui sont propres aux sociétés que la guerre ne contraint pas à l’action corporative. Un gouvernement fortement centralisé n’étant pas nécessaire, le gouvernement est exercé par un conseil, constitué d’après un rudiment d’approbation, sorte de gouvernement représentatif grossier ; les distinctions de classes n’existent