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HERBERT SPENCER. — la société industrielle

de mettre sur le même niveau le bon et le mauvais, le paresseux et le laborieux ; c’est aisé à prouver. En effet, lorsque, après la cessation de la lutte pour l’existence entre les sociétés par le moyen de la guerre, il ne reste plus que la lutte industrielle pour l’existence, les sociétés qui survivent en définitive et qui s’étendent doivent être celles qui produisent le plus grand nombre des meilleurs, c’est-à-dire les individus les mieux adaptés à l’état industriel. Supposez deux sociétés, égales d’ailleurs, dans l’une desquelles les supérieurs ont la possibilité de conserver à leur propre profit et au profit de leurs descendants le produit total de leur travail ; et dans l’autre les supérieurs ont dû céder une partie de ces produits au profit des inférieurs et de leurs descendants. Évidemment les supérieurs prospéreront et se multiplieront plus dans la première que dans la seconde. Dans la première, on élèvera un plus grand nombre de meilleurs enfants, et à la fin cette société dépassera la seconde en nombre[1].

A un autre point de vue, le système dans lequel les efforts de chacun lui rapportent ni plus ni moins que leur produit naturel, est le système du contrat.

Nous avons vu que le régime de l’état légal est de toute manière propre au type militaire. C’est l’accompagnement de la subordination graduelle par laquelle l’action combinée d’un corps combattant s’accomplit, et qui doit régner dans toute la société combattante pour assurer son action corporative. Sous ce régime, l’autorité intervient dans les rapports du travail et du produit. De même que, dans l’armée, la nourriture, les vêtements, etc., reçus par chaque soldat, ne sont pas le produit direct de l’ouvrage fait, mais une rémunération arbitrairement distribuée pour un service arbitrairement imposé ; de même, dans le reste de la société militaire, le supérieur impose le travail et assigne à son gré à l’ouvrier telle part du produit. Mais à mesure qu’avec le déclin du militarisme et l’ascendant de l’industrialisme, la puissance comme la portée de l’autorité diminuent, et que l’action libre s’augmente, la relation de contrat devient générale ; enfin, dans le type industriel pleinement développé, cette relation devient universelle.

  1. Il ne faut pas conclure que nous voulions refuser l’assistance privée ou volontaire à l’inférieur, mais seulement l’assistance publique et obligatoire. Quelles que soient les conséquences que la sympathie des meilleurs pour les pires produise spontanément, on n’a naturellement rien à y voir ; et en somme elles seront profitables. En effet, si les meilleurs ne poussent pas d’ordinaire leurs efforts philanthropiques jusqu’à mettre obstacle à leur propre multiplication, ils les poussent assez loin pour adoucir des infortunes des pires, sans les mettre en état de se multiplier.